La vie à la campagne au début du siècle - Mes vieux souvenirs




Joséphine ROUAULT


Septembre 1981 





Née à la Rouaudière le 8 Mai 1896, j'étais l'aînée d'une famille de sept enfants dont quatre moururent en bas âge, 1 garçon et 3 filles. Restait mon frère cadet Louis né en 1897 et Emile, le jeune né en 1910.

C'était mon grand-père que je n'ai pas connu qui fit construire le premier corps de bâtiments terminée en 1881. Comprenant pour l'habitation une cuisine et deux chambres, cave et grenier. Les bâtiments de service : étable, grange, écuries et la boulangerie sur le bord de la route de Bais à Changenéteux. La ferme fut ensuite agrandie par mon père qui fit le hangar sur 2 caves voûtées et par mon frère qui exploita la ferme jusqu'à sa retraite.

Vie Familiale

Le matin au réveil, les hommes travaillaient au dehors, à l'étable ou à l'écurie, donnant la nourriture aux animaux et faisant leur litière. La bonne allait traire les vaches, 2 ou 3 tout au plus. Ma mère faisait la soupe à l'oignon, les lits et un peu de ménage. Au petit déjeuner, après la soupe, il y avait le pain avec les sardines ou les harengs salés, le fromage.

Comme éclairage, c'était la lampe à pétrole, suspendue au plafond au dessus de la table et la petite lampe pigeon à essence qui servait de veilleuse. Dans les bâtiments de service, c'était le falot à pétrole aussi.

Pour le chauffage, c'était la cheminée. On y brûlait les fagots de bois et les rondins.

L'eau

Il y avait la mare qui était alimentée par des sources et servait d'abreuvoir aux animaux, à coté du lavoir. Dans le jardin, séparé par un mur, il y avait la fontaine d'eau potable alimentée par des sources. On y allait puiser l'eau avec des seaux.

La cuisine

Il n'y avait pas de cuisinière. La cuisine se faisait dans la cheminée. Dans une marmite suspendue à une crémaillère, cuisaient les légumes qui servaient à faire la soupe. Dans un coin, sur un petit fourneau à charbon de bois mijotait dans une cocote le ragoût pour le repas du midi.
Le midi, ordinairement le vendredi, on mangeait de la galette de sarrasin dans du lait et aussi avec du beurre. C'était délicieux.
Le soir, une fois par semaine, on faisait de la bouillie de sarrasin que l'on mangeait avec du lait. Et un soir par semaine, c'était les pommes de terre avec du lait ou du beurre et de la salade.

La boisson

C'était du cidre fait avec les pommes récoltées à l'automne.

Chaque année, on tuait un cochon. Le lard était conservé dans le charnier avec du sel et servait au cours de l'année à faire des pâtés avec du lapin ou du foie acheté chez le boucher. Avec le maigre et un peu de g ras, on faisait du jambon qu'on mettait à fumer dans la cheminée, des saucisses et surtout beaucoup de pots de rillettes pour une grande partie de l'année. On mangeait beaucoup de légumes récoltés dans le jardin. Des fruits, des poires et des pommes conservées l'hiver au grenier. Ma mère faisait aussi des confitures de groseilles et de cassis.

Les distractions

Il n'y avait pas d'illustrés. Pour les parents, le journal hebdomadaire du dimanche.
Pour fêter le Dimanche, le midi, il y avait le morceau de bśuf et on buvait la tasse de café.

La scolarité

A 5 ans, je partais à l'école. C'était dur. Il fallait se lever tôt, faire sa toilette et déjeuner en vitesse. Un bol de soupe à l'oignon que j'avais bien du mal à avaler! L'école commençait à 8 heures en toutes saisons. Il fallait s'y rendre à pied par n'importe quel temps, chaussés de galoches, dessus cuir, semelles de bois. Les souliers étaient réservés pour le Dimanche. Les garçons eux chaussaient les pilons, tout en bois, avec par dessus les chaussettes, une paire de talonnettes toute en cuir. Pour ne pas arriver en retard, je me souviens de la course, mon frère et moi, pour descendre la côte ! Etant sur le bord de la route, nous étions privilégiés auprès de tant d'autres qui avaient 2 -3 et même 4 kilomètres à faire souvent dans des chemins creux, pleins d'eau et de boue en hiver. Ils devaient sauter dans le champs d'à côté pour en sortir, c'était du sport.

La classe commençait à 8 h et finissait à 11 heures pour la matinée. Il y avait souvent du catéchisme de 11 heures à midi. Je mangeais à la cantine tenue par les sśurs. Certains écoliers mangeaient dans le bourg, chez des grands parents ou chez des commerçants qui leur trempaient la soupe. Ils apportaient leurs provisions : pain, rillettes, pâté, beurre ou fromage.

A 1 heure, c'était la rentrée, et la sortie à 4 heures. Alors chacun rentrait chez lui, emportant ses livres pour apprendre ses leçons qu'il fallait réciter sans faute le lendemain. Catéchisme, grammaire, histoire de France et géographie. Tantôt l'un, tantôt l'autre ! En classe, on faisait beaucoup de devoirs : calculs, opérations et problèmes. En français, la lecture, l'orthographe, dictées, vocabulaire, conjugaisons...etc Une fois par semaine, une heure de travail manuel tricot et couture, canevas ou point de croix, pour former toutes les lettres.

De 5 ans à 11 ans, je passais par le CP, le CE et le CM. A 11 ans, j'obtiens le Certificat d'Etudes Primaires. Fin de la scolarité pour beaucoup, car l'école n'était pas obligatoire aprés 12 ans. Il n'y avait que l'école publique pour tous, les filles et les garçons. L'école des filles étaient au centre du bourg, maison Lavigne actuellement et l'école des garçons étaient au Petits Champs.

Après la loi de séparation de l'église et de l'état, les religieux et les religieuses n'avaient plus le droit d'enseigner avec leur costume. Beaucoup quittèrent l'enseignement en France et partirent à l'étranger. En Angleterre, en Belgique. D'autres se sécularisèrent et restèrent sur place. Ce fut la division dans les communes et le commencement de l'école privée ou école catholique. Les parents avaient la liberté de choisir mais comme les maîtres n'étaient pas payés par l'état dans l'enseignement privé, les parents devaient payer pour chaque enfant une rétribution mensuelle qui servait de traitement pour les maîtres ! A Bais, l'école libre ouvrit en 1907 après le départ des religieuses. Dans l'enseignement Catholique, ce fut la grande pénurie de personnel. Il y eut des dévouements. Des personnes munies de leurs diplômes quittèrent leur situation et entrèrent dans l'Enseignement Privé.

A 10 ans je fis ma première communion et je puis vous dire que ce fut une grande fête de famille. Mes parents avaient invité leurs oncles et tantes, cousins et cousines. Deux ans après, ce fut la même fête pour la communion de Louis.

A 12 ans, mes parents m'envoyèrent en pension à St Louis de Gonzague à Mayenne. La vie y était dure. La discipline sévère et il fallait travailler sérieusement pour ne pas avoir de mauvaises notes en fin de semaine.

Je fus pensionnaire pendant 4 ans. A 16 ans, j'obtiens le brevet élémentaire. Je devais continuer mes études qui marchaient assez bien. Mais cette année là, en 1912, la mort de mon père, âgé de 54 ans, bouleversa toute notre vie. Je dus abandonner les études et rentrer à la maison pour seconder ma mère.

La vie des écoliers n'était pas de toute facilité ! La rentrée le 1er Octobre, 5 jours de classe par semaine. Le Jeudi était le jour de repos. Il n'y avait que peu de vacances : 10 jours à Noël, 15 jours à Paques et c'est tout jusqu'à la fin Juillet.

Le travail à la ferme


Pendant les vacances, les enfants dans les fermes devaient travailler, aider aux travaux de la moisson qui allait commencer. Il n'y avait pas de machines. Le blé, l'orge et l'avoine étaient coupés à la faux et il fallait faire les gerbes à l'aide d'une faucille/ C'était long et dur sous l'ardeur du soleil ! Matin et soir, il y avait les vaches à garder, pendant deux à même trois heures. C'était long ! Dans la journée, il y avait le jardin qu'il fallait sarcler.

Les voyages

Les sorties étaient rares. Il n'y avait que la carriole, 10 à 20 km au plus. Une fois chaque année, nous étions invités à Evron chez un oncle de mon père et une foie aussi chez un oncle de ma mère du côté d'Alençon.

J'avais environ 9 ans quand mes parents furent invités à la première communion d'un petit cousin à Châteaubourg, berceau de la famille ROUAULT. Il fallait gagner Evron en carriole, ensuite prendre le train. Quelle nouveauté, passer un jour en famille et revenir le lendemain par les mêmes moyens de locomotion.

A 10 ans, ce fut un voyage organisé dans la paroisse. Voyage au Mont St Michel. Visiter l'abbaye, voir la mer, Quelle merveille ! Mon père aimait les voyages et voulait nous en faire profiter.

La guerre 1914

Deux ans après la mort de mon père, le 1er Août 1914, ce fut le tocsin qui annonçait la déclaration de guerre à la France par l'Allemagne. Ce fut la mobilisation générale. Il ne restait plus que les tout jeunes, les femmes et les vieillards. Il fallait que la vie continue. Mon frère fut mobilisé classe 17. Pendant son absence, je fus fermière ! Mais je dois avouer que j'étais une mauvaise fermière ayant surtout peur des chevaux qu'il fallait conduire aux champs par le licol et les rentrer à l'écurie. Pendant 4 ans, ce fut la grande misère ! Que de victimes ! Que de destructions de toutes sortes ! Il faut avoir vécu cette triste période pour s'en rendre compte ! En 1919, Louis fut démobilisé. Quel soulagement pour lui ! Heureusement sorti indemne de cette tourmente. Et pour ma mère et pour moi, fin des inquiétudes et des soucis. Louis rentrait à la ferme. La vie de famille allait devenir plus agréable.

En Octobre 1919, on vint me demander de rendre service à l'Ecole Libre. A la rentrée, la Directrice arrivait seule pour 3 classes et la direction n'avait personne à donner. Ma mère eut bien du mal à me laisser partir, mais il fallait bien sauver la situation ! C'est ainsi que je suis entrée dans l'enseignement. J'ai exercé pendant 32 ans à Bais. Tantôt chargée du CP ou du CE et même de la classe enfantine. Les classes étaient chargées de 30 à 35 élèves. En plus du travail de classe, il fallait préparer des séances récréatives avec les enfants pour Noël et la fin de l'année scolaire. Et de plus, avec les jeunes filles pour la Ste Catherine et à Carnaval. Là, malgré la fatigue, c'était la joie, la détente.

En 1940, ce fut l'occupation Allemande. L'école fut réquisitionnée : dépôt de munitions dans une classe. Mais pour la rentrée, on nous donna l'autorisation de rouvrir les classes. Cette période d'occupation fut pénible ! Que de restrictions de toutes sortes. Les Allemands étaient les Maîtres et il fallait se soumettre.

En 1951, après la mort de ma mère, je quittais Bais. On m'offrait un poste à Sablè chez les sśurs d'Evron, au pensionnat Ste Anne. Là, je fus chargée du cours Préparatoire et j'y suis restée 10 ans. La vie était agréable. Bonne entente entre tout le personnel. Les sorties étaient faciles. Le dimanche, avec une collègue, j'allais souvent à Solesmes, profiter du chant des Moines et de temps en temps, le jeudi, nous allions au Mans.

A 65 ans, l'inspecteur d'Académie me mit à la retraite. De là, une ancienne supérieure de St Anne me fit aller à Paris. Dans cet établissement, il y avait 4 classes primaires et un foyer de jeunes filles. La première année, je fis la classe et après je fus employée au bureau de la directrice. Pendant 5 ans, je fus chargée de l'accueil et aussi des courses en ville. Ah! Je l'ai parcouru ce Paris ! Dans toutes les directions : Avec le métro ou les bus. Pendant 5 ans, j'en ai profité pour voir ce qui était intéressant à Paris ou dans les environs.

A 70 ans, je pensais qu'il était temps de rentrer à Bais. J'avais peur de me faire culbuter dans les rues et envoyer à l'hôpital loin de la famille.

Rentrée à Bais, je ne devais pas y rester. Mon neveu Pierre qui venait d'être nommé à Cossé le Vivien pour y remplacer les frères, avait une petite fille de 3 ans Claire-Marie et un petit garçon Jean de 9 mois. Etant chargé de la direction du collège, aidé de sa femme Simone qui était elle aussi institutrice, il leur fallait trouver quelqu'un pour s'occuper des enfants. Ils me firent donc appel à leur tour. Là ce fut la vie heureuse, la vie de famille dont je garde un excellent souvenir. M'occupant des deux enfants, pendant 5 ans. Je puis dire qu'avec leurs parents, ils me sont restés bien fidèles.

A 75 ans, ce fut la retraite complète. Mais retrouvant à la Rouaudière d'autres petits neveux et c'est deux ou trois fois par semaines qu'on venait me chercher pour passer la journée ainsi que tous les Dimanches ! Quels bons souvenirs.

A 80 ans, je fis le voyage en Terre Sainte, sans trop de fatigue et chaque année je profite du voyage organisé par le Club du 3ieme âge.

Ayant été souffrante et affaiblie, je suis entrée à la maison de Retraite en Septembre 1981 et maintenant j'y vis en sécurité en attendant la finale !

Joséphine ROUAULT