La guerre d'Algérie
Michel ROUAULT
1955-1957
24 Juin 1955
La Lande d’Ouée – A 28 km de Rennes,
camp en forêt, chalet en bois de 25 lits.
C’était d’anciens baraquements allemands
pendant l’occupation de la seconde guerre mondiale. Je suis
affecté dans les transmissions, 41e BICI (Bataillon
d’infanterie…), 8e section, 1e compagnie.
11 Octobre 1955
Départ pour la Caserne Mac Mahon à Rennes
où je suis resté pendant 2 mois, à la
2e section transmission. Voyage en train de 24h pour gagner Marseille
afin d’y être embarqué pour
l’Algérie.
Nous avons touché le paquetage complet : pistolet
mitrailleur, chargeur, vêtements et 3 jours de ration. Nous
avons embarqué à quelques kilomètres
de Rennes, en rase campagne, pour éviter
d’être vus par le public et les journalistes. Un
cheminot cherche à nous démoraliser " Mes pauvres
gars, si vous saviez ce qui vous attend ". Le départ eut
lieu le mardi soir à 8h30 pour arriver à
Marseille, le mercredi soir à 22h00 via Bordeaux, Toulouse
et Nîmes.
14 Octobre 1955
Embarquement sur le " Ville d’Oran " et arrivée
à Oran après 26h de traversée. Nous
sommes à 5 km d’Oran, dans une usine
désaffectée et nous couchons dans la paille. Je
suis affecté au 8e RIM (Régiment
d’Infanterie Motorisé) sans savoir où
se tient le régiment. Il fait chaud et il y a beaucoup de
mouches.
Dimanche 17 octobre 1955 - Turenne
Nous sommes partis dimanche soir d’Oran, dans des trains
à bestiaux, sur la paille, serrés comme des
sardines et nous sommes arrivés, sans encombre, à
Turenne à 3h du matin. En Algérie, nous sommes
à l’heure solaire. Je suis affecté
à la 3e compagnie et ai perdu les anciens copains. Aucune
connaissance. Le pays est beau : il y a pas mal de collines et de
rochers. Les indigènes ont l’air assez travailleur
et ont des attelages de mulets. Nous logeons dans un hangar
sur la paille, sans doute à un colon : il y a une
moissonneuse batteuse. Nous nous trouvons à 28 km de Oujda
et 50 km de Tlemcen. Le 8e RIM est souvent en déplacement.
Mercredi matin, nous partons une fois de plus et quittons Turenne en
camion pour aller dans une ferme à 10km de l’autre
coté de Marnia. Je n’aurai jamais cru
l’Algérie si accidenté. Il faut
être bon chauffeur pour conduire. Je me demande quelle
idée ont eu les colons de venir par ici.
28 Octobre 1955
Hier matin, nous sommes partis en opération, à 4h
du matin, en camion à 60 km d’ici,
jusqu’au pied d’une montagne que l’on a
escaladée à pied. C’est fatiguant ainsi
que de descendre. Il fallait ratisser toute une région,
fouiller les gourbis, emmener les hommes et mettre le feu aux tas de
paille (cache d’armes) et brûler ou dynamiter
certaines maison de suspects. Ce devait être en
représailles car dans la région une ferme avait
été brûlée.
C’était triste à voir et ce
n’est pas comme cela qu’on en fera des amis.
J’ai vu un adjudant gifler un vieux. Les maisons (mechtas)
sont accrochées au flanc de la montagne. Elles sont en terre
et à toit plat. Les femmes n’avaient quand
même pas trop l’air apeuré. Je ne sais
pas de quoi ils vivent. Sûrement pas grand chose. Ils ont
quand même des vaches et des ânes qui broutent
quelques malheureux buissons. Les bêtes ont le pied
montagnard. Je me demande comment elles ne se cassent pas la figure
dans le dédale des rochers. Ils ont aussi
brûlé un gourbis qui servait
d’épicerie, car avant d’y mettre le feu,
beaucoup ont bourré leur musette de tabacs, allumettes,
bonbons… même les chefs, qui prenaient des
fait-tout. Ce sont les gendarmes qui faisaient sauter les maisons.
Cela fait 2 nuits que l’on couche sur la terre en attendant
des lits de camp. Mais on n’a pas froid. C’est
simplement un peu raide.
La nourriture est meilleure qu’à Turenne. La
colique est finie. Il n’y a pas de paille car elle a
brûlé avant que la troupe n’arrive. Les
anciens sont ici depuis dimanche. La ferme était pas mal en
désordre. Ils ont eu du travail à nettoyer les
locaux qui étaient encombrés de ferraille. Il y a
pas mal de beaux bâtiments mais pas de bêtes
dedans. Le patron n’est sans doute pas un modèle
de fermier. Je crois qu’ils sont 2 frères
associés. Un petit Arabe vend des bricoles et sodas.
20 Novembre 1955 – Marnia
La garde se monte par 2 heures. Chose curieuse, le temps
paraît plus court la nuit que le jour. Deux fois 2h la nuit
et une fois 2h le jour tout autour de la ferme.
Depuis jeudi 10, on est moins nombreux à la ferme car la
compagnie est partie à Rabat pour le retour de Mohammed V,
exilé à Madagascar et qui revient en triomphe, en
roi du Maroc.
5 Novembre 1955
Je suis affecté dans la section de commandement et service
(SCS). Nous avons moins de gardes à assurer mais
s’est souvent cette section qui fournit les hommes pour les
corvées de cuisine. Ainsi ce matin, j’ai
cassé du bois pour faire la popote. La cuisinière
marche aussi avec un brûleur à essence, mais il
est en panne.
J’écris dehors à l’ombre car
le soleil tape assez dur et, à
l’intérieur, on est dévoré
par les mouches. La dernière opération que nous
avons faite a eu lieu samedi. Nous sommes partis de la ferme le
vendredi soir à 11h. On a marché pendant 1h et on
a attendu que le jour se lève pour avancer plus haut. On
n’a pas eu chaud à attendre et le jour ne venait
pas vite. Quand nous sommes arrivés au sommet, on pouvait
voir au loin sur les pentes, d’autres soldats, qui, comme
nous encerclaient toute une région. Et comme
d’habitude, on pouvait voir certaines maisons
brûler ou exploser et les hommes emmenés pour
interrogation. La première compagnie a
arrêté 6 hommes armés. Ils en ont
tué 3 autres. J’ai envoyé un certificat
de présence au corps à Pierre pour
qu’il puisse rentrer en France. Lorsque 2 frères
étaient affectés en Afrique du Nord, un des 2
était rapatrié en France.
Dimanche. Ce matin, nous sommes allés à Marnia en
camion. La route est pas mal tortueuse. Drôle de pays
où les femmes sont regardées comme des choses ou
comme des objets. Un indigène me disait qu’ils ne
choisissaient pas leur femme, que c’était le
père qui achetait et faisait le commerce avec le
père de la fille. Et que c’était celle
là qu’il aurait et non une autre. Le commerce se
fait même très tôt. Je lui demandais
pourquoi ils n’emmenaient pas leur femme avec eux quand ils
allaient en France. C’est parce que le père ou
l’oncle en reste le maître et ne le permet pas.
Pour se dire bonjour, les arabes se touchent la main sans serrer et
ensuite portent leurs doigts à leurs lèvres ou
à leur poitrine.
4 Décembre 1955
Jeudi matin, tous sommes partis en opération, comme
j’espère nous n’en reverrons pas de
sitôt. Pas à cause de fellaga car nous
n’avons pas vu âme qui vive. Pour commencer nous
avons roulé jusqu’à 8h du matin dans
des camions débâchés. Ensuite
l’opération s’est
déroulé normalement dans le djebel, sans rien
découvrir et à 4h on prenait le chemin du retour.
Comme il commençait à pleuvoir, le
capitaine, se fiant à son flair, ne s’occupa pas
de sa boussole ni de ses cartes, si bien que nous étions
perdus. Pour comble, il n’y avait pas moyen de rentrer en
relation par radio. Les postes ne manquaient pourtant pas.
J’en portais un : 17 kg ! Et comme il faisait noir, la marche
était pénible dans la boue : les
montées et les descentes. Arrivés sur une
hauteur, on a aperçu au loin des fusées
lancées par les chauffeurs de camion. On s’est
donc dirigés dans cette direction et à 9h nous
avions rejoint le convoi. Pour le retour, heureusement nous
étions bien habillés car plusieurs averses nous
ont inondés. Tout le monde était mort de fatigue.
On m’a remplacé pour porter le poste quand on a vu
les fusées. Enfin nous avons encore eu de la chance car la
2e compagnie s’est perdue et n’est
rentrée que le lendemain midi. Nous, nous sommes
rentrés à 1h du matin. Ils ont couché
dehors sous un formidable orage, paraît-il, que
j’ai à peine entendu car je dormais. Maintenant
que c’est passé, on y pense plus, mais on a du
travail à nettoyer.
15 Décembre 1955
Nous avons déménagé et sommes
maintenant à 4km de la frontière du Maroc
espagnol. Prévenus mardi soir pour partir mercredi matin,
nous sommes installés dans une ferme à 1km de
Berkane. Il fait un temps printanier. Les colons ici ont dû
vendre leurs fermes. Les indigènes y travaillent avec un
gros tracteur à chenilles.
18 Décembre 1955
Encore un déménagement. Sommes dans un vieux
moulin dans la ville de Berkane. Cette nuit, j’ai
monté la garde 4h, de 10 à 12 et de 4
à 6. J’étais sur un balcon pour
surveiller portes et fenêtres qui donnent sur la rue.
4 Janvier 1956
Deux opérations cette semaine : moins pénible que
celle de 2 jours. A la dernière, on m’a
changé de section afin de n’avoir pas de poste
à porter. A la place, je fouillais les mechtas (maisons).
Les villages sont dispersés. Quand on arrive, on est
accueilli par les chiens. Souvent il n’y a qu’une
seule entrée de cour et autour sont les maisons. Les toits
sont plats. 2m de hauteur. A la place des soliveaux, des grosses
branches et en travers, un genre de bambou. Ensuite de la terre qui
devient très dure. Dans la cour, il y a souvent des moutons
et quelques vaches. L’intérieur des maisons est
pauvre mais propre. Les murs sont blancs et le sol est lisse somme du
ciment. Dans une maison, il y a même les photos
d’un fils soldat et un petit buffet à glace.
Le chef de cette section est séminariste, sous-lieutenant.
Les gars l’aiment bien et avec eux les prisonniers sont bien
vus. Ce n’est pas comme une autre fois, dans une autre
section, un adjudant qui les giflait. Les gars en avaient le
même esprit. A la fin de l’opération, un
prisonnier se plaignit au commandant qu’on lui avait
volé 10000 Frs (anciens francs). Aussi le capitaine nous a
prévenu que cela pouvait nous coûter cher, que
l’on était là pour mettre la paix et
non le pillage. Les ordres changent vite. Ou début, on
mettait le feu aux maisons.
Depuis quelques temps, il fait un vent plus froid. Mais c’est
à peine s’il gèle.
11 Janvier 1956
Stage radio de 15 jours (sans garde).
29 Janvier 1956
Opération : départ vendredi matin à
5h, retour samedi soir. Complètement crevé. Nous
sommes 6 à la section pour la radio et tous nous avons
quelques choses à porter. Trois portent les
pièces d’un gros poste, les autres portent un
poste 300, pour communiquer l’un avec l’avion,
l’autre avec le PC. Le 3ème en cas de panne. Il y
avait bien des mules mais elles portaient la tente du colonel. Le
capitaine a dormi comme nous. A deux, on creuse un trou, on garnit le
fond de brindilles et on s’enroule dans notre toile de tente
avec capote et imperméable. Je n’ai pas eu trop
froid. On a allumé des feux pour se chauffer et faire du
Nescafé. On n'a pas vu l’ombre d’un
fellaga. Les soldats faisaient la fouille des maisons, mais on
n’emmenait pas les hommes. Les gradés ont
dû recevoir des ordres pour être plus corrects. On
a dormi pas loin d’un marabout (petite chapelle musulmane)
mais le capitaine n’a pas dormi dedans. Il nous a
même défendu de nous mettre à
l’abri près des murs. Car pour les
indigènes c’est un lieu sacré
qu’il ne faut pas profaner.
12 Février 1956
Nous sommes arrivés dans une ferme à une douzaine
de kilomètres de Oujda, sur la route de Marnia. Il fait
froid. Dans la ferme, il y a 3 tracteurs. Ils ne font rien
par ce temps : il pleut. Comme patron, il y a un ménage
assez jeune, un petit garçon de trois ou quatre ans.
C’est la première fois, depuis que je suis en
Afrique que je suis dans une plaine. Les montagnes sont loin
à l’horizon. Notre capitaine a piqué
une colère et a giflé plusieurs gars. La raison :
la section de garde était déshabillée
pour dormir.
Vendredi soir 7h, bouclé paquetage départ 8h00.
Sommes arrivé dans la ville sur des silos à
blé. Nous avons dormis sur le dur. Heureusement il ne fait
pas froid. Suis planton du capitaine. Cette nuit, j’ai dormi
sur le palier. Emotion : on entend des rafales de PM. Erreur, ce sont
les Marocains qui fêtent l’indépendance.
Retour à la ferme. Dormi tout habillé
avec cartouchière.
18 Mars 1956
Neuvième opération. Partis à 5h, nous
sommes rentrés à 18h. Elle n’a pas
été pénible. J’avais juste
une musette à porter, chargée de nourriture, pas
loin de Turenne. Les mortiers lourd, les chars et 8 avions de chasses
ont profité de cette opération pour faire du tir
sur un piton. Nous avons trouvé un fusil de chasse dans une
Mechta.
9 Avril 1956
Opération du samedi matin au dimanche soir. Après
une escalade en camion sur une piste tortueuse, sommes
arrivés à 1500m. Avons eu froid la
première journée et c’était
pénible de marcher. Heureusement que nous avions quelques "
bougnouls " pour porter nos postes en fin de journée. Il y
avait des hélicoptères et des avions.
L’un a été obligé de se
poser sur un terrain labouré car le pilote a vu trop tard
une ligne électrique. Il n’a pas
été blessé. Le moteur et les ailes ont
été emmenés en camion et le reste a
été brûlé.
27 Avril 1956
Un colonel a été enlevé à
Oujda. Opération. Je reste à garder la ferme.
8 Mai 1956
Une opération de 3 jours du coté de Montagnac.
Première nuit sous la tente et les 2 autres en plein air.
Beaucoup de kilomètres en camion pour aller sur les lieux de
crapahutage. Les hors-la-loi brûlent les fermes. La
troisième nuit se passe sur les lieux d’une ferme
incendiée. Nous n’avons encore jamais eu de combat.
11 Mai 1956
Je suis au bureau de la compagnie où j’ai
remplacé un ancien. Il y a un adjudant et un cabo-chef qui
tapent à la machine. Le soleil tape dur mais je suis
à l’ombre. La jeep du courrier a capoté
: un pneu arrière a éclaté par la
chaleur - 3 blessés légers sur 4. Les casques ont
bien protégé les têtes. Ils sont bien
cabossés.
16 Mai 1956
Je pars demain soir en " perm " pour coucher à Oujda et
partir vendredi matin. Départ du bateau samedi 14h30.
Arrivée prévue à Marseille dimanche
soir et à la maison sans doute lundi soir.
11 Juin 1956
Retour en Algérie. Oran dimanche après midi. Je
ne suis pas trop fatigué du voyage. Il y avait des femmes de
la croix rouge et des anciens combattants qui donnaient à
chacun une brioche, une bouteille de vin et du chocolat. Il est vrai
que j’ai débarqué avec les
rappelé et j’ai profité de
l’accueil qui leur été fait.
J’ai été surpris de leur bonne
volonté : aucun désordre n’a
été fait.
J’ai été trois jours à
Marseille pendant lesquels il fallait travailler pour avoir un bon de
repas. Le soir, on pouvait sortir en ville. Le premier soir, je suis
allé voir Mr et Mme Doumenc, 10 rue Bonardelle.
Deuxième soir, ciné et
déambulé sur la cannebière.
12 juin 56
La moisson est commencée par ici ! Je n’ai
guère vu de lieuse ! Les gens coupent encore à la
faucille. Ce n’est pas le pays aux
céréales, c’est plutôt le
pays à la vigne.
Une patrouille avait disparue. Cette patrouille
n’était pas de chez nous. C’est en
allant à sa recherche que la compagnie s’est fait
accrocher par l’armée de libération au
Maroc. Un cessez-le-feu est venu pour laisser passer
l’armée de libération et maintenant on
a plus le droit de faire de patrouille. Il paraît que la
compagnie doit aller au repos en Algérie.
23 juin 1956
Demain dimanche, pas de messe car la compagnie est partie en
opération (PIGMEE). Je suis resté
à la ferme. Mon plus gros travail est de
téléphoner 4 fois par jours tous les 6 heures
même la nuit. Quand la compagnie est là, les
communications se font par radio (vacations). Il fait chaud. La
compagnie est rentrée d’opération mardi
matin. Ils ont couché 4 nuits dehors et ils ont
découvert un important stock de munitions et quelques armes
dans une caverne creusée dans le bord d’un Oued et
bien camouflée. Comme travail, je mets les livrets
militaires a jour (150 soldats dans la compagnie : 5 sections de 30).
05 juillet 1956
Il fait toujours chaud, sans orage, pas de nuage. Le raisin est
déjà gros. Il est continuellement
irrigué par une pompe électrique qui
débite un fort courant d’eau. C’est une
nappe, une source ne suffirait pas . Ils commencent a cueillir les
prunes. Il y en a un grand champ entre notre ferme et celle
d’à côté. Elles sont a peine
mûres : c’est pour exporter.
10 juillet 1956
Il fait une de ces chaleurs. En allant au courrier, l’air qui
nous fouettait était brûlant. Dimanche je suis
allé voir un malade a l’hôpital.
31 juillet 1956
Saïda. Nous voilà
déménagés. Nous sommes partis
à 3 heures du matin, nous avons eus trois heures de route.
Le déménagement s’est passé
sous la chaleur. Nous étions complètement cuits.
Nous sommes passés dans la région de
Sidi-bel-Abès, pays de vigne à perte de vue.
C’est la plaine tandis qu’à Marnia et
Themcen la route se faufile parmi les djebels (montagnes arides).
C’est joli à voir, des rochers à pic et
des ravins. Mais c’est moins sûr que la plaine : il
y a des risques d’embuscades.
Ici a Saïda, c’est un immense plateau avec quelques
replis de terrains. Nous sommes dans une ferme à 20
kilomètres de Saïda. Pas
d’électricité, la lumière
est fournie par une génératrice. Pour
l’eau, un robinet seulement avec de l’eau
fraîche a volonté. Comme culture, surtout des
céréales et un peu de vignes. Toute la compagnie
loge dans l’ancienne écurie a mules : 7 ou 8
mètres de larges sur 100 m de long. La ferme a
été construite en 1885 à un
kilomètre d’une voie de chemin de fer. Entre
Saïda et la ferme un petit village
Aïn-El-Adjard (traduction : source du bois). Je me
suis acheté un matelas pneumatique.
05 août 1956
La ferme appartient au fils du maire de Saïda. Il y a deux
femmes Européennes (Espagnoles) elles sont sœurs.
L’une est femme du gérant. Comme
matériel : un tracteur de 11 tonnes 85 CV à
chenilles, trois autres à pneus 45 CV et 3
moissonneuses-batteuses.
Une bourrasque vient de souffler, un véritable nuage de
poussière nous enveloppait. Ce doit être le
simoun. Je reviens de la chasse aux moineaux avec une fronde mais suis
revenu bredouille, ainsi que deux autres copains.
08 août 1956
Depuis quelques temps il nous fait un vent fou. On vit dans le sable et
la poussière. Ca entre partout, aussi nous sommes tous
sales. J’ai du travail à nettoyer. On voit souvent
les petites Arabes venir à l’eau au robinet
à deux ou trois ans. Elles ont un petit seau (boite de
conserve de 5L). Comme boucle d’oreilles elles ont des bouts
de laine de passés dans la peau et comme médaille
autour du cou des petits morceaux de chiffons. Elles sont mignonnes
mais crasseuses.
18 août 1956
Opération : repos dans un petit bois entre Oran et Mascara.
Cinq jours partis à partir du dimanche soir 11h. Le lundi
matin on commençait à crapahuter. On en a
bavé sous le soleil qui chauffait dur. Le plus dur
c’est quand nous sommes restés deux jours au
sommet d’un djebel sous le soleil, sans aucune
végétation pour faire de
l’ombre. J’ai attrapé des coups de
soleil. Deux soldats sont tombés malades et ont
été évacués par
hélicoptère. Je crois que je me souviendrai
longtemps de ce 15 août passé à
rôtir. On n’a pas vu de fel (fellagas). La nuit un
avion lâchait une fusée éclairante de
temps en temps. Nous avons passés une autre nuit sur un
piton qui ressemblait à une grosse meule de paille. Le
dessus était plat sur une dizaine de mètres et de
chaque côté ça descendait à
pic (gare aux chutes).
25 août 1956
Visite du Colonel. Le patron de la ferme a donné 7 brebis.
Les Arabes les ont fait rôtir comme des poulets à
la broche, devant des feux. Ils avaient mis des perches en bois en
guise de broche, reposant sur des grosses pierres (le
méchoui). Nous en avons eu chacun un gros morceau.
C’est fameux !
31 août 1956
J’étais heureux hier soir de retrouver mon lit que
j’avais quitté pendant quatre nuits.
L’opération n’a pas
été trop dure cette fois, sauf le dernier jour
où on a crapahuté dans les djebels. Comme mission
nous protégions le PC et les hélicos au
sol. Il y en avait deux petits et cinq gros. Il a
été question un moment de les emprunter.
Nous consommons du raisin. Les vendanges commencent. Sommes
passé à Lélille. Nous y avons
stationné deux jours et avons eu
l’aumônier qui nous a dit la messe. Ensuite
Mostaganem et Picard ou l’opération se
déroulait. On a couché à 3
ou 4 par tente. Comme nourriture des boites de ration pour 5. Elles
sont meilleurs que les rations individuelles, il y a des
boîtes de bœuf aux carottes, du fromage, de la
poudre pour faire de la boisson, cigarettes, chocolat,
comprimés vitaminés, confitures, bonbons. On ne
mange pas tout, on jette certaines bricoles aux Arabes qui se
battent comme des gosses pour en avoir. En revenant
d’opération nous avons pris un bain de mer.
4 septembre1956
Cette fois c’est vers le Sahara que nous sommes partis.
J’écris, installé sous une guitoune. On
vient de subir une bonne ventée avec une fameuse averse.
Heureusement que nous sommes sur le sable. L’eau
s’infiltre à mesure. Heureusement que nos piquets
étaient bien enfoncés !
Sommes partis mardi en soirée coucher à Le
Kredeir, à 80km au sud de Saïda, dans un camp
légionnaire. Il y avait une piscine où
j’ai fait trempette (il fait chaud). Pas de
végétation. De l’herbe sèche
(l’alfa). Comme animaux des moutons et des chameaux
La route est rectiligne un avion y atterrirait facilement. Ce matin
parti de Le Kreider à 6h pour arriver ici, à 30
km au sud de Méchéria à 21h. Nous
avons la roulante ce qui nous permet de manger autre chose que des
rations.
Jeudi : C’est à 20 km au sud de Aïn-Sefra
que nous sommes arrivés ce matin par une route en
construction. Nous campons au bord de la route et attendons la suite
(il fait chaud). Hier soir, il est encore venu de fameuses averses,
notre tente a bien résisté. Ca ne vas pas
toujours tout seul pour monter la guitoune, on est pas toujours
d’accord. Ici le pays est montagneux. Le long de la ligne de
chemin de fer, il y a de nombreux poteaux
téléphoniques qui sont coupés. Ici,
c’est vraiment désertique. Il y a quelques
buissons au bord d’un oued d’eau salée.
Vendredi : ce matin nous avons attaqué la
montagne. Elle est difficile. Les mules ont essayé de monter
mais elles ont failli se casser la figure. Ce sont les
hélicos qui nous ravitaillent. Le paysage est sauvage et
désertique. C’est un amas de blocs de pierres, je
suis crasseux et barbu, j’ai une grande déchirure
à ma culotte, vraiment l’air d’un
guerrier. Un avion va larguer le courrier : ça va.
Hier, nous étions en colère : la compagnie a
été héliportée sur un autre
piton, sauf 2 sections dont la mienne. Le pilote disait qu’il
n’avait plus d’essence. Il a fallu qu’on
rejoigne le poste de commandement à pied. Plusieurs heures
de marche. On va peut-être rejoindre les camions
(c’est le meilleur moment d’une
opération, bien souvent complètement
crevé).
12 septembre1956
Cette opération est la plus accidentée que
j’ai vue. Mais je n’étais pas trop
fatigué, étant moins chargé.
J’avais juste un pistolet mitrailleur, chargeur, musette,
couverture et toile de tente. Pour redescendre, on a pris
l’oued, mais parfois, il fallait faire un détour
sur la pente quand un à pic de 10m nous barrait le passage.
Un chef a fait ramener 4 petits biquets abandonnés dans la
montagne. On avait ordre d’abattre tous les
animaux. La région étant
déclarée zone interdite. Nous n’avons
rien tué. Certaines compagnies ont tué des
chevaux et bourricots. Il n’y avait aucune Mechta. Je me
demande ce que faisaient les bêtes dans la montagne. On
râlait après les biquets
qu’il fallait porter. Ils ont fait des crottes dans notre
camion. Le chef s’est débrouillé pour
avoir du lait concentré à leur donner, au
début, ils nous cassaient la tête. Ils ont
peut-être 8 jours. Ils ont la vie dure (ça fait 8
jours que nous dormons sur la dure).
16 septembre1956
Messe à Aïn-el-adjard. Un lieutenant dit la messe.
19 septembre1956
J’ai changé de patron, un sergent chef (de
Perpignan) remplace l’adjudant.
23 septembre1956
Les mouches sont malignes. Elles ne font que me piquer. J’ai
perdu mon calot . Il fait un vent fou qui met de la
poussière partout sur mon lit.
26 septembre1956
Rien d’extraordinaire. Il fait froid soir et matin, on se
croirait en France. Une petite opération du
côté de Relizane. Un seul jour parti.
7 octobre 1956
Suite à l’embuscade au 1e RTIM, sommes en
opération dans la région d’Aflou.
Mercredi matin, nous sommes partis pour Aïn-skrouna et
c’est au retour, le soir, qu’on est reparti pour
cette opération. Je ne suis pas fatigué car nous
avons surtout roulé en camion. Et ce matin un
hélico nous a montés dans les djebels.
C’est plus agréable de voir les djebels
défiler dessous que de les parcourir à pieds.
Nous étions 4 par voyage avec une quinzaine
d’hélicoptères. Hier j’ai vu
des bananes (gros hélicoptère à deux
ventilateurs qui peut transporter 30 personnes). Nous avons
passé trois nuits près d’Aflou. Nous ne
sommes pas malheureux puisqu’on est restés
où on a été
déposés. Je ne sais pas quand
l’opération va finir. Ce qui me tracasse le plus
c’est que vous êtes sans nouvelles.
Lundi soir : Les hélicos nous ont bien ramenés
aux camions. Ca va faire la 4ème nuit passée au
même endroit. Il parait qu’on repart pour 4 jours.
Cette fois nous étions 10 dans le ventilateur. Il avait 4
pales. L’autre n’en avait que 3 le voyage a
duré 10 mn. Ce n’est pas impressionnant.
13 octobre 1956 - Aflou
Je n’ai encore jamais vu de bagarre. Ce matin, ça
fait la huitième nuit que nous passons sur ce terrain. Sous
la tente avec moi il y a le photographe qui passe son temps
à faire des mots croisés, et un
rappelé qui comme moi passe son temps comme il peut.
14 octobre 1956 - La Fontaine
Ce matin nous avons levé le camp pour venir ici,
à mi-chemin entre Tiaret et Aflou. Le paysage est toujours
aussi désertique. De l’alfa qui ressemble
à des touffes de joncs et un genre de petite
bruyère forment toute la végétation.
Le long de la route on voit parfois des éoliennes pour
pomper l’eau. Incident pendant notre campement : les pilotes
d’avion atterrissent sur la route qui passe au bord de notre
campement, mais lord d’un atterrissage un avion en fin de
course a tourné à angle droit vers nos tentes. Il
s’est immobilisé, une roue en plein sur une tente,
vide heureusement de ses habitants. Il a fallu le pousser à
bras et les atterrissages ont été
terminés.
17 octobre 1956
Lundi départ de La Fontaine à 15 h pour aller
faire une opération au sud-est de Tiaret. Le soir
couché dans le djebel. Le mardi soir nous descendions vers
les camions et y passions la nuit. Mercredi départ
à 7h et arrivée à 15 h. Nous
n’avons rien vu. En opération comme toujours on
ramenait les hommes au P.C. (poste de commandement). Il
paraît que parmi eux il y avait des rebelles.
25 octobre 1956
La nuit dernière, une section est allée fouiller
des mechtas à une vingtaine de kilomètres. Ils
avaient revêtu des djellabas, sans doute pour tromper les
habitants. Je ne connais pas l’explication.
1er novembre
1956
Nous passons la Toussaint comme un jour ordinaire, un ordre est venu
hier soir de se tenir prêt à partir.
2 novembre 1956
Reçu un colis de la municipalité de Bais.
3 novembre 1956
Daniel Richard vient de partir pour le décès de
son père. Fin juin, il était en perm pour les
noces de sa sœur.
Dimanche : Ce matin messe à 8h. Il ne faisait pas chaud se
lever, aussi nous n’étions qu’une
douzaine.
Lundi : Prise d’arme pour le passage de commandement du
capitaine Bontemps au lieutenant Bruneau. Nous étions
habillés en tenue de sortie et avons formé un
carré. Le Colonel a pris la parole (" Au nom du
président de la république ", etc.). Le capitaine
a alors pris le fanion de la Cie et l’a passé au
lieutenant. Le midi nous avons eu vin blanc et choux à la
crème. Les gérants de la ferme
s’appellent Régenbac. Ils sont vieux, la femme est
d’origine belge. L’autre jour ils m’ont
donné un café. Les chevreaux grossissent sauf un
qui est resté petit. Cette après-midi
j’ai vu un cul de jatte. Il y a beaucoup d’infirmes
en Algérie, jambe de bois ou autre.
8 novembre 1956
Depuis plusieurs soirs nous n’avons plus de
lumière : le générateur est en panne,
on s’éclaire avec des bougies.
11 novembre 1956
Ce midi nous avons mangé avec les ouvriers musulmans de la
ferme pour favoriser l’amitié franco-musulmane.
Nous avons bien mangé. Il y avait une trentaine de
musulmans. Ils ont bu des sodas et de la bière, ils ne
boivent pas de vin. Avant on nous avait dit de ne pas leur parler de
leur femme (c’est humiliant pour eux). On nous avait dit
aussi qu’il ne fallait pas être surpris de les
entendre roter en mangeant. Chez eux c’est une marque de
contentement qui n’est pas malpolie du tout. Au contraire,
ça veut dire : " C’est bon, vous nous soignez bien
". Mais ils doivent être au courant de nos mœurs
aussi car je n'en ai pas entendu roter.
Hier nous étions en opération dans la
région de Berthelot, parti à 3 h du matin et
rentré à 8h du soir. Sommes montés
deux fois dans les hélicos. Un coup, avons atterris dans un
champ de labour. Ca faisait un nuage de poussière (il est 6h
et demi et je n’y vois plus).
15 novembre 1956
J’ai une lettre de Papa qui me dit être
opéré, ainsi que de Maman qui me dit ne pas
être rassurée le soir.
Il est encore question d’une opération, mais comme
toujours on ne sait rien de précis sinon que j’en
fait encore partie. J’aime autant y aller, car ici, quand on
reste, on monte beaucoup de gardes.
20 novembre 1956
C’est encore une opération qui
m’a empêché
d’écrire. Nous sommes arrivés ce matin
à 3h. On était mort de sommeil et on est
resté au lit jusqu’à midi. Sommes
partis vendredi matin et avons couché à
Ami-moussa. Le samedi, on arrivait dans la région de Renault
et Paul-Robert et nous avons couché dans la montagne, pas
trop mal puisqu’on avait trouvé de la paille pour
mettre dessous. Et pour porter les sacs, on a
récupéré des petits bourricots La
deuxième nuit, nous devions prendre les camions, mais ils
n’ont pu prendre la piste. Il a fallu monter la tente sur la
terre mouillée et attendre le lendemain matin. Nous avons un
poêle installé dans la piaule, mais il ne chauffe
pas la grande écurie sans grenier au dessus. Je suis en
bonne santé malgré la pluie que nous avons eue en
opération. Nous n’avons pas vu de rebelles dans
notre coin.
22 novembre 1956
Depuis quelques jours il fait un temps de chien, il pleut avec un vent
froid.
1er décembre 1956
Mauvais temps, il a volé de la neige toute la
journée. Certains endroits sont blancs, il fait froid. Ma
place est assez bonne mais malsaine : on n’a pas assez
d’exercice et quand on sort dehors ça surprend. La
Cie est partie en opération ce matin. Aussi j’ai
monté la garde de 0 à 2h. Le sol est tout blanc
mais ça va fondre, le soleil commence à briller.
6 décembre 1956
Certains vont à la chasse pour améliorer le menu.
Hier soir nous avons mangé chacun un conga. Ce sont des
oiseaux migrateurs. Ils passent par milliers et se posent aux
alentours. Ils sont gros comme un petit pigeon. Nous sommes
restés une vingtaine et nous montons la garde 2h chaque
nuit. Il y a un an, en pareil cas, nous montions la garde 4h par nuit !
Je dors sous une grande tente où on peut loger 25
à 30 personnes. Il y fait meilleur que dans
l’écurie. Le poêle marche toute la nuit.
La Cie n’est toujours pas rentrée et nous
n’avons pas eu de messe ce dimanche. Ce matin, 2h de garde de
jour, et la nuit dernière 4h de 9 à 11h
et de 3 à 5 h.
13 décembre 1956
C’est à " deux au jus " (à deux jours
de la quille) que j’écris. Après ce
sera du " plus au jus " (du rab, c’est à dire,
maintenu sous les drapeaux). On s’éclaire toujours
à la bougie ou à la lanterne. A la radio il est
souvent question du djebel Amour. La Cie doit y être.
16 décembre 1956
Ce matin messe à Aïn-el-Adjard. Cet
après-midi, pas de sortie. A 11h, un ordre est venu : " Cie
en tenue de combat !". Une demi-heure après, tout le monde
était parti. Ils étaient rentrés
d’Aflou vendredi. Heureusement, ont-ils dit, qu’il
y avait les avions qui en ont supprimé une bonne
partie à la roquette. Ils ont trouvé une grotte
pleine d’armes et de munitions. Il y avait aussi de la farine
et un moteur.
20 décembre 1956
La Cie est encore partie en opération (mercredi). Je suis
resté à la ferme. La Cie est rentrée
(vendredi) ils ont été
héliportés, mais n’ont rien vu, sauf
quelques suspects qu’ils ont, paraît-il,
frappés (d’après leurs conversations).
25 décembre 1956
Veillée de Noël avec chants et petites
pièces comiques. Ensuite un léger repas froid.
Tous les gradés ont mangé avec nous, ainsi que
notre ancien capitaine venu à la Cie pour le
réveillon. Lorsqu’ils ont
été partis, nous avons fait un
deuxième repas, celui-là plus copieux, mais
payé de notre poche : 1000 Frs (de
l’époque). Nous étions une quinzaine de
la section, les autres faisant bande à part. Il y avait des
huîtres, du beurre, jambon, vin, cigares, un mouton que des
Arabes nous ont rôti. Il y avait tellement
d’entrain que je me suis couché à 5 h
avec une cuite. Quand je me suis réveillé,
j’ai vu mon copain prêt à sortir. Je lui
demande : " On va à la messe ? ". Il me répond :
" On en revient. Je t’ai secoué pour te
réveiller mais il n’y a pas eu moyen ! ".
31 décembre 1956
Il y a eu une veillée comme celle de Noël avec vin
et gâteaux, mais j’ai été
sérieux. Les officiers étaient encore de la
partie.
4 janvier 1957
La Cie part en opération demain matin. Aussi, comme je reste
à la ferme, je vais monter 2 h de garde cette nuit. Il fait
un temps magnifique : un beau soleil chaud.
13 janvier 1957
Ce matin, il y a une couche de neige de 10 cm. Dans notre grande
écurie il fait moins froid depuis que les ouvertures sont
bouchées avec du vitrex et du contre-plaqué.
1er février 1957
Jeudi matin, sommes partis en opération pas très
loin d’ici et avons passé une nuit dehors sous les
petites tentes.
3 février 1957
Ce matin messe à 11h. Cet après-midi, il y avait
sortie en ville. Je suis resté pour laver un treillis et mon
sac de couchage en toile. Ca remplace les draps (sac à
viande).
6 février 1957
Maintenant nous avons des Arabes comme soldats (9). Ils ne parlent pas
Français, boivent du café à la place
de vin, et ne mangent ni pâté ni porc. On est pas
fauché avec ça !
11 février 1957
Opération. J’en fait partie dans la
région de Relizane avec plusieurs régiments.
J’ai vu une vielle femme qui faisait de la farine : deux
pierres plates, une tige de fer dans celle du dessous, et dessus, une
autre pierre que la femme faisait tourner à la main. Ca doit
demander du temps.
17 février 1957
Je vais perdre mon copain photographe (Jean-Claude Houssin). Il va
aller au PC de la DIM pour travailler de son métier. Ma paye
s’élève à 8000 Frs (ancien)
par mois. Maintenant nous montons la garde deux fois 2h toutes les deux
nuits.
2 mars 1957
Hier soir, une section est allée surprendre des fellaghas
dans une mechta (sur renseignements). En les ramenant ils en ont
tué un qui se sauvait.
7 mars 1957
Mal de dent, visite chez le dentiste. Il me dit : " Je ne
vois rien. Demain tu iras à l’hôpital
pour passer une radio dentaire ". Et c’est ainsi que pour 10
mn de radio, j’ai passé presque deux jours
à l’hôpital, et dormi une nuit dans un
bon lit. Il y avait une douzaine de malades dans la salle, surtout des
légionnaires Allemands.
17 mars 1957
Je commence à être fatigué de ma place.
Il faut monter la garde toutes les deux nuits et travailler la
journée. Ce n’est pas dur comme travail, mais
quand-même ! En section ils ne sont pas tant
occupés la journée. Aujourd’hui il fait
un beau soleil. Il a plu toute la semaine.
23 mars 1957
Ce matin comme j’étais de garde de 9 à
11h, je me suis fait remplacer une heure pour pouvoir aller
à la messe de 11h à Ain-el Hadjard. Aussi je vais
reprendre cette heure de 4 à 5 h.
L’autre jour les Arabes racontaient à
l’aide de l’interprète comment
ça se passe pour se marier. D’abord, aux noces,
les hommes et les femmes ne sont pas ensemble, ils dansent, chantent,
se distraient séparément. Quand un arabe veut se
marier et qu’il désire une fille, il le dit
à sa mère. Pas à son père,
car pour eux c’est déshonorant de leur parler des
femmes. Entre eux il n’en est pas question. Donc la
mère du jeune homme s’entend avec les parents de
la fille pour le prix (cinquante à soixante mille francs
pour une belle fille). Et les noces ont lieu. Bien entendu il
n’est pas question de demander l’avis de la fille.
Ceci se passe dans le bled. En ville de plus en plus se marient comme
les Européens.
Le copain jaciste de la Mayenne a fait connaissance d’une
jeune fille de Ain-el-Hadjard. Je ne sais pas si ça va
marcher mais ça à l’air
d’être bien parti. Elle est venue cette
après-midi avec deux autres femmes. Elle doit retourner en
France mais a retardé son départ,
peut-être attend-elle qu’il ait la quille pour
s’en aller avec lui. Il est du contingent d’avant
moi. C’est Christian Lamoureux de Cossé le Vivien
il est cousin avec M. Batté (boucher).
28 mars 1957
Dimanche nous avons eu la messe à la ferme,
l’Aumônier était de passage. Il y avait
une vingtaine de gars. Ca manquait d’entrain, il aurait fallu
des chants et prières. Surtout qu’à
l’autre bout de l’écurie certains
faisaient marcher un poste et d’autres ne se
gênaient pas pour parler fort. L’endroit
était mal choisi. On aurait dû dresser
l’autel dans un endroit plus isolé.
Nous avons maintenant du cinéma une fois par semaine puisque
nous avons un groupe électrogène. Ca
éclaire mieux et me permet de prendre le rasoir
électrique.
Aujourd’hui nous avons bien mangé. La Cie est
partie en opération hier soir. J’ai
monté 4 h de garde la nuit dernière et vais
reprendre 2 h cette nuit. Comme travail aujourd’hui,
j’ai lavé un pantalon. Puis j'ai
modifié les pièces matricules de tout le
contingent 55/1 en remplaçant "pendant
durée légale" (PDL) par "maintenu sous les
drapeaux". Ca demande du temps et il y en a assez long à
mettre.
7 avril 1957
Cet après-midi, pas de sortie en ville. Une section est
partie au Kreider où le train a sauté sur une
mine. Uniquement des blessés et beaucoup de marchandises
perdues.
11 avril 1957
Sans doute entends-tu à la radio tous les attentats qui se
passent dans la région. Ne t’en fais pas, ce
n’est pas moi le plus en danger. Il y a du
côté de Wagramm une forêt où
se cache une bande qui fait des coups de temps en temps, comme des
loups. Le meilleur moyen serait de brûler cette
forêt, il y a déjà eu plusieurs
opérations mais impossible de les trouver.
14 avril 1957
Triste dimanche des Rameaux aujourd’hui. Il fait froid et il
pleut. Nous avons quand même eu une accalmie pour jouer au
volley où nous avons eu bien du plaisir. Ce matin nous
n’avons pas eu de messe. Pour remplacer, nous
étions une dizaine dans la cave pour réciter les
prières de la messe et lire l’évangile
des Rameaux. Maintenant je tape bien à la machine
je vais assez vite.
25 avril 1957
Une embuscade a été tendue à un camion
de la 2ème Cie. Maintenant il n’y a plus de sortie
à moins de 3 ou 4 camions, distants de 100 m les uns des
autres. Les soldats Musulmans font le carême, ils se
lèvent la nuit pour manger. Le jour, ni boisson ni
nourriture, pas plus que de tabac. Ils ne montent jamais la garde (la
confiance n’est peut être pas totale).
28 avril 1957
Pas de messe, nous sommes consignés. Les arabes vont
fêter la fin du Ramadan. Aussi il vaut mieux être
prudent. Temps couvert et assez froid. Ce midi nous avons
mangé le méchoui rôti par les Arabes,
fait avec les moutons du colon.
3 mai 1957
Sommes en mai mais avons encore allumé le poêle.
Toutes les feuilles des arbres n’ont pas encore
poussé. La vigne non plus, par contre le blé est
beau. En ville de Saida (plus bas en altitude) il fait
déjà bien meilleur.
6 mai 1957
Samedi nous étions à déjeuner en
ville. Nous étions 5 de la même classe. Le repas
était payé par le foyer central à
l’hôtel d’Orient, grand hôtel
de Saida. C’était un bon repas et nous
étions assez joyeux. Un copain a voulu me saouler mais
c’est lui qui s’est trouvé saoul ! Il
était rigolo, il disait toujours " c’est pas beau,
c’est pas beau ! ". Il a fallu qu’on le
couche. Le lendemain matin il ne se rappelait plus de rien.
Partis en opération depuis lundi. Deux nuits sous la petite
tente à une trentaine de km de Saida. Un pauvre " bougnoul "
qui se sauvait devant nous a reçu une balle dans la jambe.
Ils l’ont mis en ambulance. Certains disaient : " Il vaut
mieux le finir ". Mais heureusement ce ne sont pas eux qui
décident . Même avec un pied de moins le pauvre
aime encore mieux être vivant.
22 mai 1957
La classe 1/B embarque pour être
libérée le 3 juin sur l’Hatos 2
(c’est le nom du bateau). Notre tour sera au plus tard un
mois après. En ce moment il y a des suspects
prisonniers à la ferme. Ils sont une quinzaine. Ils font les
corvées. Un adjudant-chef n’est pas tendre avec
eux (il a pourtant été prisonnier). En plein midi
il les a mis nu-tête en plein soleil. Nous ne
sommes pas près d’avoir la paix dans notre monde
avec de tels moyens.
10 juin 1957
Il n’y a pas beaucoup de travail au bureau en ce moment. Les
papiers pour notre libération sont faits. Je
n’étais pas le dernier pour les faire. Nous sommes
donc à " 14 au jus " si on embarque le 27.
16 juin 1957
Cet après-midi, pas de sortie en ville. J’ai fait
la sieste mais les mouches nous empêchent de dormir. On
n’a pas beaucoup de courage même pour jouer. On a
commencé à arroser la quille. C’est le
soir que ça se passe, deux fois la semaine. Il faut alors
ingurgiter 3 ou 4 bières en chantant. Un petit cercueil
préside sur la table, fermé à
clé, où les gars mettent leur obole. On
l’ouvrira le dernier jour. Nous avons aussi une grosse quille
avec les douze noms dessus.
24 juin 1957
Ce n’est pas le 27 que nous embarquons, c’est pour
le 3 juillet. On commence à trouver le temps long. 24h
d’opération pour la Cie. Pierre m’a
écrit : il me parle du 3 août, jour de son
mariage. Les premiers jours que je vais travailler seront durs, je
n’ai plus l’habitude, j’attraperai des
poulettes !! La nuit dernière, j’ai
monté deux heures de garde sur les grandes cuves
à vin. Par une fenêtre, on surveille un
côté de la ferme. C’est assez sinistre :
un immense bâtiment ou les chauves souris virevoltent autour
de nous et où les chats se battent et grognent. Ils mettent
toujours des anciens à ce poste : un qui aurait peur
trouverait le temps bien long !
27 juin 1957
Avant-hier je suis descendu à Saida pour quelques emplettes.
Comme j’avais du temps je suis allé avec des
copains à la piscine. Je fais quelques progrès en
natation. Je ne me risque pas encore où je n’ai
pas pied. Je le pourrais mais j’ai la frousse ! Les
récoltes sont commencées. Une section est
à protéger les machines. Ici les
récoltes sont plus en retard que dans le reste de
l’Algérie. L’autre jour un
indigène est venu prévenir qu’un type
habillé en militaire rodait par chez lui. Une section y est
allée et a tiré dessus. Ils l’ont
arrêté. Il n’a pas
été touché. Malheureusement un petit
arabe de douze ans a reçu un balle en pleine poitrine : il
était caché dans le blé. Le militaire
était un déserteur de la légion, un
Allemand. L’aspirant Alsacien parlait avec lui. Ils
l’ont ramené à sa caserne. Le petit
arabe est le frère d’un soldat qui est avec nous,
ça fait mauvais effet . Il fait grand chaud mais comme on
n’a rien à faire on n’est pas
à plaindre. Il est maintenant question du 3 pour embarquer.
4 juillet 1957
Les deux gars d’Evron m’ont dit qu’une
piscine était en construction et qu’elle serait
inaugurée cette été. Ici
j’y vais de temps en temps. Maintenant je la traverse dans sa
longueur : 30 m. Personne de la classe 55/1 C ne travaille plus, on
monte juste la garde. Il y a des tourbillons de poussière et
de sable de temps en temps. On dirait un incendie. On voit
ça au loin : de gros nuages noirs. Il y a encore pour 15
jours de moisson. Les batteuses travaillent tous les jours, mais il y
en a tellement grand (700 ha pour la ferme). Les champs de
100 ha ne sont pas rares. Nous sommes mangés par les
mouches. Je ne sais pas encore quand nous embarquons, on dirait
qu’ils veulent nous faire souffrir à petit feu le
plus longtemps possible, c’est vraiment pénible.
La Cie est partie en opération. Les libérables
sont restés à la ferme. Cette semaine notre gros
travail était d’aller escorter la soupe aux
sections qui protègent les moissonneurs.
Aujourd’hui ils battent près de la ferme
puisqu’il n’y a personne pour les
protéger. Il y a une douzaine de batteuses. Notre adjudant
nous a fait perdre une demi-journée. Monsieur chassait
à l’affût les tourterelles
près d’un puits et il fallait
l’attendre. Toujours pas de nouvelles pour la
libération cela devient inquiétant.
18 juillet 1957
J’ai envoyé un modèle de lettre
à mes parents pour le Colonel. On verra bien ce que cela
donnera. On ne risque rien ! (permission pour le mariage de Pierre).
21 juillet 1957
Au poste nous avons entendu la date de notre libération : au
plus tôt le 25 août. J’attends
le certificat pour poser ma permission. J’ai très
peu d’espoir qu’elle soit acceptée.
Depuis le début des moissons il n’y a plus de
sortie (ni messe, ni piscine).
Après cette dernière lettre pessimiste, je suis
débarqué à Marseille le 31 juillet. Ma
demande de permission exceptionnelle (10 jours) étant
acceptée j’ai pu aller aux noces de Pierre et
Simone. Il était temps que ça finisse, autant
pour moi que pour le cahier (je suis arrivé à la
dernière page). Mes copains ont fait un mois de plus.
Après ma permission j’ai été
muté à Rennes, et, de là, on
m’a renvoyé dans mon foyer le jour même.
J’ai rendu ma tenue militaire à la gendarmerie.
Je fus obligé d’envoyer un
télégramme à ma Cie pour demander une
prolongation de permission. Par retour, ils m’ont
répondu : " Adressez-vous à Rennes où
vous êtes muté. ". Autrement, je retournais
à Marseille, et là il m’auraient
renvoyé à Rennes !
21 janvier 2003
Cette description de mon service militaire a été
possible grâce à Marie-Josèphe qui
avait conservé mes lettres et sur lesquelles j’ai
pu relever tous les détails, dont certains sont partis de ma
mémoire.
Et grâce aussi à Nicolas et Pascale qui
m’ont prêté leur ordinateur pendant leur
séjour en Afrique. Mais ceci est une autre histoire qui sera
écrite par eux un jour…
Quelques détails qui vous intéresseront
peut-être : au début de mon séjour
j’avais un pistolet-mitrailleur PM MAT 49, ensuite
j’ai eu un fusil Américain, le garant à
8 coups. Je me rappelle encore son numéro. Il fallait se le
mémoriser pour le prendre au râtelier, car on
craignait les vols, et les armes de ceux qui dormaient
étaient enchaînées. Au début
nous couchions sur nos armes, ou du moins à
côté.
Je pense avoir fait une douzaine d’opérations,
parfois d’un jour, parfois de 15 jours.
Il y a eu quelques cas de tortures à la Cie. Je pense que
les grands responsables de cette guerre sont les hommes
politiques (qui sont morts maintenant). Ils n’ont jamais
voulu associer le peuple Algérien au gouvernement de leur
pays, ce qui aurait pu éviter aussi le retour massif des
Pieds-noirs. Tout le monde y aurait gagné.
Signé :1ère Classe Rouault Michel,
8éme R .I .M, 3éme Compagnie Saida (Oranie).
P.S. : Je remercie mes enfants qui m’ont donné
quelques cours d’ordinateurs pour faire ce travail !
TCHAO !!