La guerre d'Algérie




Michel ROUAULT


1955-1957


24 Juin 1955

La Lande d’Ouée – A 28 km de Rennes, camp en forêt, chalet en bois de 25 lits. C’était d’anciens baraquements allemands pendant l’occupation de la seconde guerre mondiale. Je suis affecté dans les transmissions, 41e BICI (Bataillon d’infanterie…), 8e section, 1e compagnie.

 

11 Octobre 1955

Départ pour la Caserne Mac Mahon à Rennes où je suis resté pendant 2 mois, à la 2e section transmission. Voyage en train de 24h pour gagner Marseille afin d’y être embarqué pour l’Algérie.
Nous avons touché le paquetage complet : pistolet mitrailleur, chargeur, vêtements et 3 jours de ration. Nous avons embarqué à quelques kilomètres de Rennes, en rase campagne, pour éviter d’être vus par le public et les journalistes. Un cheminot cherche à nous démoraliser " Mes pauvres gars, si vous saviez ce qui vous attend ". Le départ eut lieu le mardi soir à 8h30 pour arriver à Marseille, le mercredi soir à 22h00 via Bordeaux, Toulouse et Nîmes.

 

14 Octobre 1955

Embarquement sur le " Ville d’Oran " et arrivée à Oran après 26h de traversée. Nous sommes à 5 km d’Oran, dans une usine désaffectée et nous couchons dans la paille. Je suis affecté au 8e RIM (Régiment d’Infanterie Motorisé) sans savoir où se tient le régiment. Il fait chaud et il y a beaucoup de mouches.

 

Dimanche 17 octobre 1955 - Turenne

Nous sommes partis dimanche soir d’Oran, dans des trains à bestiaux, sur la paille, serrés comme des sardines et nous sommes arrivés, sans encombre, à Turenne à 3h du matin. En Algérie, nous sommes à l’heure solaire. Je suis affecté à la 3e compagnie et ai perdu les anciens copains. Aucune connaissance. Le pays est beau : il y a pas mal de collines et de rochers. Les indigènes ont l’air assez travailleur et ont des attelages de mulets. Nous logeons dans  un hangar sur la paille, sans doute à un colon : il y a une moissonneuse batteuse. Nous nous trouvons à 28 km de Oujda et 50 km de Tlemcen. Le 8e RIM est souvent en déplacement.

Mercredi matin, nous partons une fois de plus et quittons Turenne en camion pour aller dans une ferme à 10km de l’autre coté de Marnia. Je n’aurai jamais cru l’Algérie si accidenté. Il faut être bon chauffeur pour conduire. Je me demande quelle idée ont eu les colons de venir par ici.

 

28 Octobre 1955

Hier matin, nous sommes partis en opération, à 4h du matin, en camion à 60 km d’ici, jusqu’au pied d’une montagne que l’on a escaladée à pied. C’est fatiguant ainsi que de descendre. Il fallait ratisser toute une région, fouiller les gourbis, emmener les hommes et mettre le feu aux tas de paille (cache d’armes) et brûler ou dynamiter certaines maison de suspects. Ce devait être en représailles car dans la région une ferme avait été brûlée. C’était triste à voir et ce n’est pas comme cela qu’on en fera des amis. J’ai vu un adjudant gifler un vieux. Les maisons (mechtas) sont accrochées au flanc de la montagne. Elles sont en terre et à toit plat. Les femmes n’avaient quand même pas trop l’air apeuré. Je ne sais pas de quoi ils vivent. Sûrement pas grand chose. Ils ont quand même des vaches et des ânes qui broutent quelques malheureux buissons. Les bêtes ont le pied montagnard. Je me demande comment elles ne se cassent pas la figure dans le dédale des rochers. Ils ont aussi brûlé un gourbis qui servait d’épicerie, car avant d’y mettre le feu, beaucoup ont bourré leur musette de tabacs, allumettes, bonbons… même les chefs, qui prenaient des fait-tout. Ce sont les gendarmes qui faisaient sauter les maisons.

Cela fait 2 nuits que l’on couche sur la terre en attendant des lits de camp. Mais on n’a pas froid. C’est simplement un peu raide.

La nourriture est meilleure qu’à Turenne. La colique est finie. Il n’y a pas de paille car elle a brûlé avant que la troupe n’arrive. Les anciens sont ici depuis dimanche. La ferme était pas mal en désordre. Ils ont eu du travail à nettoyer les locaux qui étaient encombrés de ferraille. Il y a pas mal de beaux bâtiments mais pas de bêtes dedans. Le patron n’est sans doute pas un modèle de fermier. Je crois qu’ils sont 2 frères associés. Un petit Arabe vend des bricoles et sodas.

 

20 Novembre 1955 – Marnia

La garde se monte par 2 heures. Chose curieuse, le temps paraît plus court la nuit que le jour. Deux fois 2h la nuit et une fois 2h le jour tout autour de la ferme.

Depuis jeudi 10, on est moins nombreux à la ferme car la compagnie est partie à Rabat pour le retour de Mohammed V, exilé à Madagascar et qui revient en triomphe, en roi du Maroc.

 

5 Novembre 1955

Je suis affecté dans la section de commandement et service (SCS). Nous avons moins de gardes à assurer mais s’est souvent cette section qui fournit les hommes pour les corvées de cuisine. Ainsi ce matin, j’ai cassé du bois pour faire la popote. La cuisinière marche aussi avec un brûleur à essence, mais il est en panne.

J’écris dehors à l’ombre car le soleil tape assez dur et, à l’intérieur, on est dévoré par les mouches. La dernière opération que nous avons faite a eu lieu samedi. Nous sommes partis de la ferme le vendredi soir à 11h. On a marché pendant 1h et on a attendu que le jour se lève pour avancer plus haut. On n’a pas eu chaud à attendre et le jour ne venait pas vite. Quand nous sommes arrivés au sommet, on pouvait voir au loin sur les pentes, d’autres soldats, qui, comme nous encerclaient toute une région. Et comme d’habitude, on pouvait voir certaines maisons brûler ou exploser et les hommes emmenés pour interrogation. La première compagnie a arrêté 6 hommes armés. Ils en ont tué 3 autres. J’ai envoyé un certificat de présence au corps à Pierre pour qu’il puisse rentrer en France. Lorsque 2 frères étaient affectés en Afrique du Nord, un des 2 était rapatrié en France.

Dimanche. Ce matin, nous sommes allés à Marnia en camion. La route est pas mal tortueuse. Drôle de pays où les femmes sont regardées comme des choses ou comme des objets. Un indigène me disait qu’ils ne choisissaient pas leur femme, que c’était le père qui achetait et faisait le commerce avec le père de la fille. Et que c’était celle là qu’il aurait et non une autre. Le commerce se fait même très tôt. Je lui demandais pourquoi ils n’emmenaient pas leur femme avec eux quand ils allaient en France. C’est parce que le père ou l’oncle en reste le maître et ne le permet pas.

Pour se dire bonjour, les arabes se touchent la main sans serrer et ensuite portent leurs doigts à leurs lèvres ou à leur poitrine.

 

4 Décembre  1955

Jeudi matin, tous sommes partis en opération, comme j’espère nous n’en reverrons pas de sitôt. Pas à cause de fellaga car nous n’avons pas vu âme qui vive. Pour commencer nous avons roulé jusqu’à 8h du matin dans des camions débâchés. Ensuite l’opération s’est déroulé normalement dans le djebel, sans rien découvrir et à 4h on prenait le chemin du retour. Comme il commençait à pleuvoir,  le capitaine, se fiant à son flair, ne s’occupa pas de sa boussole ni de ses cartes, si bien que nous étions perdus. Pour comble, il n’y avait pas moyen de rentrer en relation par radio. Les postes ne manquaient pourtant pas. J’en portais un : 17 kg ! Et comme il faisait noir, la marche était pénible dans la boue : les montées et les descentes. Arrivés sur une hauteur, on a aperçu au loin des fusées lancées par les chauffeurs de camion. On s’est donc dirigés dans cette direction et à 9h nous avions rejoint le convoi. Pour le retour, heureusement nous étions bien habillés car plusieurs averses nous ont inondés. Tout le monde était mort de fatigue. On m’a remplacé pour porter le poste quand on a vu les fusées. Enfin nous avons encore eu de la chance car la 2e compagnie s’est perdue et n’est rentrée que le lendemain midi. Nous, nous sommes rentrés à 1h du matin. Ils ont couché dehors sous un formidable orage, paraît-il, que j’ai à peine entendu car je dormais. Maintenant que c’est passé, on y pense plus, mais on a du travail à nettoyer.

 

15 Décembre 1955

Nous avons déménagé et sommes maintenant à 4km de la frontière du Maroc espagnol. Prévenus mardi soir pour partir mercredi matin, nous sommes installés dans une ferme à 1km de Berkane. Il fait un temps printanier. Les colons ici ont dû vendre leurs fermes. Les indigènes y travaillent avec un gros tracteur à chenilles.

 

18 Décembre 1955

Encore un déménagement. Sommes dans un vieux moulin dans la ville de Berkane. Cette nuit, j’ai monté la garde 4h, de 10 à 12 et de 4 à 6. J’étais sur un balcon pour surveiller portes et fenêtres qui donnent sur la rue.

 

4 Janvier 1956

Deux opérations cette semaine : moins pénible que celle de 2 jours. A la dernière, on m’a changé de section afin de n’avoir pas de poste à porter. A la place, je fouillais les mechtas (maisons). Les villages sont dispersés. Quand on arrive, on est accueilli par les chiens. Souvent il n’y a qu’une seule entrée de cour et autour sont les maisons. Les toits sont plats. 2m de hauteur. A la place des soliveaux, des grosses branches et en travers, un genre de bambou. Ensuite de la terre qui devient très dure. Dans la cour, il y a souvent des moutons et quelques vaches. L’intérieur des maisons est pauvre mais propre. Les murs sont blancs et le sol est lisse somme du ciment. Dans une maison, il y a même les photos d’un fils soldat et un petit buffet à glace.

Le chef de cette section est séminariste, sous-lieutenant. Les gars l’aiment bien et avec eux les prisonniers sont bien vus. Ce n’est pas comme une autre fois, dans une autre section, un adjudant qui les giflait. Les gars en avaient le même esprit. A la fin de l’opération, un prisonnier se plaignit au commandant qu’on lui avait volé 10000 Frs (anciens francs). Aussi le capitaine nous a prévenu que cela pouvait nous coûter cher, que l’on était là pour mettre la paix et non le pillage. Les ordres changent vite. Ou début, on mettait le feu aux maisons.

Depuis quelques temps, il fait un vent plus froid. Mais c’est à peine s’il gèle.

 

11 Janvier 1956

Stage radio de 15 jours (sans garde).

 

29 Janvier 1956

Opération : départ vendredi matin à 5h, retour samedi soir. Complètement crevé. Nous sommes 6 à la section pour la radio et tous nous avons quelques choses à porter. Trois portent les pièces d’un gros poste, les autres portent un poste 300, pour communiquer l’un avec l’avion, l’autre avec le PC. Le 3ème en cas de panne. Il y avait bien des mules mais elles portaient la tente du colonel. Le capitaine a dormi comme nous. A deux, on creuse un trou, on garnit le fond de brindilles et on s’enroule dans notre toile de tente avec capote et imperméable. Je n’ai pas eu trop froid. On a allumé des feux pour se chauffer et faire du Nescafé. On n'a pas vu l’ombre d’un fellaga. Les soldats faisaient la fouille des maisons, mais on n’emmenait pas les hommes. Les gradés ont dû recevoir des ordres pour être plus corrects. On a dormi pas loin d’un marabout (petite chapelle musulmane) mais le capitaine n’a pas dormi dedans. Il nous a même défendu de nous mettre à l’abri près des murs. Car pour les indigènes c’est un lieu sacré qu’il ne faut pas profaner.

 

12 Février 1956

Nous sommes arrivés dans une ferme à une douzaine de kilomètres de Oujda, sur la route de Marnia. Il fait froid. Dans la ferme,  il y a 3 tracteurs. Ils ne font rien par ce temps : il pleut. Comme patron, il y a un ménage assez jeune, un petit garçon de trois ou quatre ans. C’est la première fois, depuis que je suis en Afrique que je suis dans une plaine. Les montagnes sont loin à l’horizon. Notre capitaine a piqué une colère et a giflé plusieurs gars. La raison : la section de garde était déshabillée pour dormir.

Vendredi soir 7h, bouclé paquetage départ 8h00. Sommes arrivé dans la ville sur des silos à blé. Nous avons dormis sur le dur. Heureusement il ne fait pas froid. Suis planton du capitaine. Cette nuit, j’ai dormi sur le palier. Emotion : on entend des rafales de PM. Erreur, ce sont les Marocains qui fêtent l’indépendance. Retour à la ferme. Dormi  tout habillé avec cartouchière.

 

18 Mars 1956

Neuvième opération. Partis à 5h, nous sommes rentrés à 18h. Elle n’a pas été pénible. J’avais juste une musette à porter, chargée de nourriture, pas loin de Turenne. Les mortiers lourd, les chars et 8 avions de chasses ont profité de cette opération pour faire du tir sur un piton. Nous avons trouvé un fusil de chasse dans une Mechta.

 

9 Avril 1956

Opération du samedi matin au dimanche soir. Après une escalade en camion sur une piste tortueuse, sommes arrivés à 1500m. Avons eu froid la première journée et c’était pénible de marcher. Heureusement que nous avions quelques " bougnouls " pour porter nos postes en fin de journée. Il y avait des hélicoptères et des avions. L’un a été obligé de se poser sur un terrain labouré car le pilote a vu trop tard une ligne électrique. Il n’a pas été blessé. Le moteur et les ailes ont été emmenés en camion et le reste a été brûlé.

 

27 Avril  1956

Un colonel a été enlevé à Oujda. Opération. Je reste à garder la ferme.

 

8 Mai 1956

Une opération de 3 jours du coté de Montagnac. Première nuit sous la tente et les 2 autres en plein air. Beaucoup de kilomètres en camion pour aller sur les lieux de crapahutage. Les hors-la-loi brûlent les fermes. La troisième nuit se passe sur les lieux d’une ferme incendiée. Nous n’avons encore jamais eu de combat.

 

11 Mai 1956

Je suis au bureau de la compagnie où j’ai remplacé un ancien. Il y a un adjudant et un cabo-chef qui tapent à la machine. Le soleil tape dur mais je suis à l’ombre. La jeep du courrier a capoté : un pneu arrière a éclaté par la chaleur - 3 blessés légers sur 4. Les casques ont bien protégé les têtes. Ils sont bien cabossés.

 

16 Mai 1956

Je pars demain soir en " perm " pour coucher à Oujda et partir vendredi matin. Départ du bateau samedi 14h30. Arrivée prévue à Marseille dimanche soir et à la maison sans doute lundi soir.

 

11 Juin 1956

Retour en Algérie. Oran dimanche après midi. Je ne suis pas trop fatigué du voyage. Il y avait des femmes de la croix rouge et des anciens combattants qui donnaient à chacun une brioche, une bouteille de vin et du chocolat. Il est vrai que j’ai débarqué  avec les rappelé et j’ai profité de l’accueil qui leur été fait. J’ai été surpris de leur bonne volonté : aucun désordre n’a été fait.

J’ai été trois jours à Marseille pendant lesquels il fallait travailler pour avoir un bon de repas. Le soir, on pouvait sortir en ville. Le premier soir, je suis allé voir Mr et Mme Doumenc, 10 rue Bonardelle. Deuxième soir, ciné et déambulé sur la cannebière.

 

12 juin 56

La moisson est commencée par ici ! Je n’ai guère vu de lieuse ! Les gens coupent encore à la faucille. Ce n’est pas le pays aux céréales, c’est plutôt le pays à la vigne.

Une patrouille avait disparue. Cette patrouille n’était pas de chez nous. C’est en allant à sa recherche que la compagnie s’est fait accrocher par l’armée de libération au Maroc. Un cessez-le-feu est venu pour laisser passer l’armée de libération et maintenant on a plus le droit de faire de patrouille. Il paraît que la compagnie doit aller au repos en Algérie.

 

23 juin 1956

Demain dimanche, pas de messe car la compagnie est partie en opération (PIGMEE). Je  suis resté à la ferme. Mon plus gros travail est de téléphoner 4 fois par jours tous les 6 heures même la nuit. Quand la compagnie est là, les communications se font par radio (vacations). Il fait chaud. La compagnie est rentrée d’opération mardi matin. Ils ont couché 4 nuits dehors et ils ont découvert un important stock de munitions et quelques armes dans une caverne creusée dans le bord d’un Oued et bien camouflée. Comme travail, je mets les livrets militaires a jour (150 soldats dans la compagnie : 5 sections de 30).

 

05 juillet 1956

Il fait toujours chaud, sans orage, pas de nuage. Le raisin est déjà gros. Il est continuellement irrigué par une pompe électrique qui débite un fort courant d’eau. C’est une nappe, une source ne suffirait pas . Ils commencent a cueillir les prunes. Il y en a un grand champ entre notre ferme et celle d’à côté. Elles sont a peine mûres : c’est pour exporter.

 

10 juillet 1956

Il fait une de ces chaleurs. En allant au courrier, l’air qui nous fouettait était brûlant. Dimanche je suis allé voir un malade a l’hôpital.

 

31 juillet 1956

Saïda. Nous voilà déménagés. Nous sommes partis à 3 heures du matin, nous avons eus trois heures de route. Le déménagement s’est passé sous la chaleur. Nous étions complètement cuits. Nous sommes passés dans la région de  Sidi-bel-Abès, pays de vigne à perte de vue. C’est la plaine tandis qu’à Marnia et Themcen la route se faufile parmi les djebels (montagnes arides). C’est joli à voir, des rochers à pic et des ravins. Mais c’est moins sûr que la plaine : il y a des risques d’embuscades.

Ici a Saïda, c’est un immense plateau avec quelques replis de terrains. Nous sommes dans une ferme à 20 kilomètres de Saïda. Pas d’électricité, la lumière est fournie par une génératrice. Pour l’eau, un robinet seulement avec de l’eau fraîche a volonté. Comme culture, surtout des céréales et un peu de vignes. Toute la compagnie loge dans l’ancienne écurie a mules : 7 ou 8 mètres de larges sur 100 m de long. La ferme a été construite en 1885 à un kilomètre d’une voie de chemin de fer. Entre Saïda et la ferme un petit village Aïn-El-Adjard  (traduction : source du bois). Je me suis acheté un matelas pneumatique.

 

05 août 1956

La ferme appartient au fils du maire de Saïda. Il y a deux femmes Européennes (Espagnoles) elles sont sœurs. L’une est femme du gérant. Comme matériel : un tracteur de 11 tonnes 85 CV à chenilles, trois autres à pneus 45 CV et 3 moissonneuses-batteuses.

Une bourrasque vient de souffler, un véritable nuage de poussière nous enveloppait. Ce doit être le simoun. Je reviens de la chasse aux moineaux avec une fronde mais suis revenu bredouille, ainsi que deux autres copains.

 

08 août 1956

Depuis quelques temps il nous fait un vent fou. On vit dans le sable et la poussière. Ca entre partout, aussi nous sommes tous sales. J’ai du travail à nettoyer. On voit souvent les petites Arabes venir à l’eau au robinet à deux ou trois ans. Elles ont un petit seau (boite de conserve de 5L). Comme boucle d’oreilles elles ont des bouts de laine de passés dans la peau et comme médaille autour du cou des petits morceaux de chiffons. Elles sont mignonnes mais crasseuses.

 

18 août 1956

Opération : repos dans un petit bois entre Oran et Mascara. Cinq jours partis à partir du dimanche soir 11h. Le lundi matin on commençait à crapahuter. On en a bavé sous le soleil qui chauffait dur. Le plus dur c’est quand nous sommes restés deux jours au sommet d’un djebel sous le soleil, sans aucune végétation  pour faire de l’ombre. J’ai attrapé des coups de soleil. Deux soldats sont tombés malades et ont été évacués par hélicoptère. Je crois que je me souviendrai longtemps de ce 15 août passé à rôtir. On n’a pas vu de fel (fellagas). La nuit un avion lâchait une fusée éclairante de temps en temps. Nous avons passés une autre nuit sur un piton qui ressemblait à une grosse meule de paille. Le dessus était plat sur une dizaine de mètres et de chaque côté ça descendait à pic (gare aux chutes).

 

25 août 1956

Visite du Colonel. Le patron de la ferme a donné 7 brebis. Les Arabes les ont fait rôtir comme des poulets à la broche, devant des feux. Ils avaient mis des perches en bois en guise de broche, reposant sur des grosses pierres (le méchoui). Nous en avons eu chacun un gros morceau. C’est fameux !

 

31 août 1956

J’étais heureux hier soir de retrouver mon lit que j’avais quitté pendant quatre nuits. L’opération n’a pas été trop dure cette fois, sauf le dernier jour où on a crapahuté dans les djebels. Comme mission nous protégions  le PC et les hélicos au sol. Il y en avait deux petits et cinq gros. Il a été question un moment de les emprunter.

Nous consommons du raisin. Les vendanges commencent. Sommes passé à Lélille. Nous y avons stationné deux jours et avons eu l’aumônier qui nous a dit la messe. Ensuite Mostaganem et Picard ou l’opération se déroulait. On a couché à  3 ou 4 par tente. Comme nourriture des boites de ration pour 5. Elles sont meilleurs que les rations individuelles, il y a des boîtes de bœuf aux carottes, du fromage, de la poudre pour faire de la boisson, cigarettes, chocolat, comprimés vitaminés, confitures, bonbons. On ne mange pas tout, on jette certaines bricoles aux  Arabes qui se battent comme des gosses pour en avoir. En revenant d’opération nous avons pris un bain de mer.

 

4 septembre1956

Cette fois c’est vers le Sahara que nous sommes partis. J’écris, installé sous une guitoune. On vient de subir une bonne ventée avec une fameuse averse. Heureusement que nous sommes sur le sable. L’eau s’infiltre à mesure. Heureusement que nos piquets étaient bien enfoncés !

Sommes partis mardi en soirée coucher à Le Kredeir, à 80km au sud de Saïda, dans un camp légionnaire. Il y avait une piscine où j’ai fait trempette (il fait chaud). Pas de végétation. De l’herbe sèche (l’alfa). Comme animaux des moutons et des chameaux  La route est rectiligne un avion y atterrirait facilement. Ce matin parti de Le Kreider à 6h pour arriver ici, à 30 km au sud de Méchéria à 21h. Nous avons la roulante ce qui nous permet de manger autre chose que des rations.

Jeudi : C’est à 20 km au sud de Aïn-Sefra que nous sommes arrivés ce matin par une route en construction. Nous campons au bord de la route et attendons la suite (il fait chaud). Hier soir, il est encore venu de fameuses averses, notre tente a bien résisté. Ca ne vas pas toujours tout seul pour monter la guitoune, on est pas toujours d’accord. Ici le pays est montagneux. Le long de la ligne de chemin de fer, il y a de nombreux poteaux téléphoniques qui sont coupés. Ici, c’est vraiment désertique. Il y a quelques buissons au bord d’un oued d’eau salée.

Vendredi :  ce matin nous avons attaqué la montagne. Elle est difficile. Les mules ont essayé de monter mais elles ont failli se casser la figure. Ce sont les hélicos qui nous ravitaillent. Le paysage est sauvage et désertique. C’est un amas de blocs de pierres, je suis crasseux et barbu, j’ai une grande déchirure à ma culotte, vraiment l’air d’un guerrier. Un avion va larguer le courrier : ça va.

Hier, nous étions en colère : la compagnie a été héliportée sur un autre piton, sauf 2 sections dont la mienne. Le pilote disait qu’il n’avait plus d’essence. Il a fallu qu’on rejoigne le poste de commandement à pied. Plusieurs heures de marche. On va peut-être rejoindre les camions (c’est le meilleur moment d’une opération, bien souvent complètement crevé).

 

12 septembre1956

Cette opération est la plus accidentée que j’ai vue. Mais je n’étais pas trop fatigué, étant moins chargé. J’avais juste un pistolet mitrailleur, chargeur, musette, couverture et toile de tente. Pour redescendre, on a pris l’oued, mais parfois, il fallait faire un détour sur la pente quand un à pic de 10m nous barrait le passage. Un chef a fait ramener 4 petits biquets abandonnés dans la montagne. On avait ordre d’abattre tous les animaux.  La région étant déclarée zone interdite. Nous n’avons rien tué. Certaines compagnies ont tué des chevaux et bourricots. Il n’y avait aucune Mechta. Je me demande ce que faisaient les bêtes dans la montagne. On râlait  après  les biquets qu’il fallait porter. Ils ont fait des crottes dans notre camion. Le chef s’est débrouillé pour avoir du lait concentré à leur donner, au début, ils nous cassaient la tête. Ils ont peut-être 8 jours. Ils ont la vie dure (ça fait 8 jours que nous dormons sur la dure).

 

16 septembre1956

Messe à Aïn-el-adjard. Un lieutenant dit la messe.

 

19 septembre1956

J’ai changé de patron, un sergent chef (de Perpignan) remplace l’adjudant.

 

23 septembre1956

Les mouches sont malignes. Elles ne font que me piquer. J’ai perdu mon calot . Il fait un vent fou qui met de la poussière partout sur mon lit.

 

26 septembre1956

Rien d’extraordinaire. Il fait froid soir et matin, on se croirait en France. Une petite opération du côté de Relizane. Un seul jour parti.

 

7 octobre 1956

Suite à l’embuscade au 1e RTIM, sommes en opération dans la région d’Aflou. Mercredi matin, nous sommes partis pour Aïn-skrouna et c’est au retour, le soir, qu’on est reparti pour cette opération. Je ne suis pas fatigué car nous avons surtout roulé en camion. Et ce matin un hélico nous a montés dans les djebels. C’est plus agréable de voir les djebels défiler dessous que de les parcourir à pieds. Nous étions 4 par voyage avec une quinzaine d’hélicoptères. Hier j’ai vu des bananes (gros hélicoptère à deux ventilateurs qui peut transporter 30 personnes). Nous avons passé trois nuits près d’Aflou. Nous ne sommes pas malheureux puisqu’on est restés où on a été déposés. Je ne sais pas quand l’opération va finir. Ce qui me tracasse le plus c’est que vous êtes sans nouvelles.

Lundi soir : Les hélicos nous ont bien ramenés aux camions. Ca va faire la 4ème nuit passée au même endroit. Il parait qu’on repart pour 4 jours. Cette fois nous étions 10 dans le ventilateur. Il avait 4 pales. L’autre n’en avait que 3 le voyage a duré 10 mn. Ce n’est pas impressionnant.

 

13 octobre 1956 - Aflou

Je n’ai encore jamais vu de bagarre. Ce matin, ça fait la huitième nuit que nous passons sur ce terrain. Sous la tente avec moi il y a le photographe qui passe son temps à faire des mots croisés, et un rappelé qui comme moi passe son temps comme il peut.

 

14 octobre 1956 - La Fontaine

Ce matin nous avons levé le camp pour venir ici, à mi-chemin entre Tiaret et Aflou. Le paysage est toujours aussi désertique. De l’alfa qui ressemble à des touffes de joncs et un genre de petite bruyère forment toute la végétation. Le long de la route on voit parfois des éoliennes pour pomper l’eau. Incident pendant notre campement : les pilotes d’avion atterrissent sur la route qui passe au bord de notre campement, mais lord d’un atterrissage un avion en fin de course a tourné à angle droit vers nos tentes. Il s’est immobilisé, une roue en plein sur une tente, vide heureusement de ses habitants. Il a fallu le pousser à bras et les atterrissages ont été terminés.

 

17 octobre 1956

Lundi départ de La Fontaine à 15 h pour aller faire une opération au sud-est de Tiaret. Le soir couché dans le djebel. Le mardi soir nous descendions vers les camions et y passions la nuit. Mercredi départ à 7h et arrivée à 15 h. Nous n’avons rien vu. En opération comme toujours on ramenait les hommes au  P.C. (poste de commandement). Il paraît que parmi eux il y avait des rebelles.

 


25 octobre 1956

La nuit dernière, une section est allée fouiller des mechtas à une vingtaine de kilomètres. Ils avaient revêtu des djellabas, sans doute pour tromper les habitants. Je ne connais pas l’explication.

 

1er novembre 1956      

Nous passons la Toussaint comme un jour ordinaire, un ordre est venu hier soir de se tenir prêt à partir.

 

2 novembre 1956

Reçu un colis de la municipalité de Bais.

 

3 novembre 1956

Daniel Richard vient de partir pour le décès de son père. Fin juin, il était en perm pour les noces de sa sœur.

Dimanche : Ce matin messe à 8h. Il ne faisait pas chaud se lever, aussi nous n’étions qu’une douzaine.

Lundi : Prise d’arme pour le passage de commandement du capitaine Bontemps au lieutenant Bruneau. Nous étions habillés en tenue de sortie et avons formé un carré. Le Colonel a pris la parole (" Au nom du président de la république ", etc.). Le capitaine a alors pris le fanion de la Cie et l’a passé au lieutenant. Le midi nous avons eu vin blanc et choux à la crème. Les gérants de la ferme s’appellent Régenbac. Ils sont vieux, la femme est d’origine belge. L’autre jour ils m’ont donné un café. Les chevreaux grossissent sauf un qui est resté petit. Cette après-midi j’ai vu un cul de jatte. Il y a beaucoup d’infirmes en Algérie, jambe de bois ou autre.

 

8 novembre 1956

Depuis plusieurs soirs nous n’avons plus de lumière : le générateur est en panne, on s’éclaire avec des bougies.

 

11 novembre 1956

Ce midi nous avons mangé avec les ouvriers musulmans de la ferme pour favoriser l’amitié franco-musulmane. Nous avons bien mangé. Il y avait une trentaine de musulmans. Ils ont bu des sodas et de la bière, ils ne boivent pas de vin. Avant on nous avait dit de ne pas leur parler de leur femme (c’est humiliant pour eux). On nous avait dit aussi qu’il ne fallait pas être surpris de les entendre roter en mangeant. Chez eux c’est une marque de contentement qui n’est pas malpolie du tout. Au contraire, ça veut dire : " C’est bon, vous nous soignez bien ". Mais ils doivent être au courant de nos mœurs aussi car je n'en ai pas entendu roter.

Hier nous étions en opération dans la région de Berthelot, parti à 3 h du matin et rentré à 8h du soir. Sommes montés deux fois dans les hélicos. Un coup, avons atterris dans un champ de labour. Ca faisait un nuage de poussière (il est 6h et demi et je n’y vois plus).

 

15 novembre 1956

J’ai une lettre de Papa qui me dit être opéré, ainsi que de Maman qui me dit ne pas être rassurée le soir.

Il est encore question d’une opération, mais comme toujours on ne sait rien de précis sinon que j’en fait encore partie. J’aime autant y aller, car ici, quand on reste, on monte beaucoup de gardes.

 

20 novembre 1956

C’est encore une opération  qui m’a empêché d’écrire. Nous sommes arrivés ce matin à 3h. On était mort de sommeil et on est resté au lit jusqu’à midi. Sommes partis vendredi matin et avons couché à Ami-moussa. Le samedi, on arrivait dans la région de Renault et Paul-Robert et nous avons couché dans la montagne, pas trop mal puisqu’on avait trouvé de la paille pour mettre dessous. Et pour porter les sacs, on a récupéré des petits bourricots La deuxième nuit, nous devions prendre les camions, mais ils n’ont pu prendre la piste. Il a fallu monter la tente sur la terre mouillée et attendre le lendemain matin. Nous avons un poêle installé dans la piaule, mais il ne chauffe pas la grande écurie sans grenier au dessus. Je suis en bonne santé malgré la pluie que nous avons eue en opération. Nous n’avons pas vu de rebelles dans notre coin.

 

22 novembre 1956

Depuis quelques jours il fait un temps de chien, il pleut avec un vent froid.

 

1er décembre 1956

Mauvais temps, il a volé de la neige toute la journée. Certains endroits sont blancs, il fait froid. Ma place est assez bonne mais malsaine : on n’a pas assez d’exercice et quand on sort dehors ça surprend. La Cie est partie en opération ce matin. Aussi j’ai monté la garde de 0 à 2h. Le sol est tout blanc mais ça va fondre, le soleil commence à briller.

 

6 décembre 1956

Certains vont à la chasse pour améliorer le menu. Hier soir nous avons mangé chacun un conga. Ce sont des oiseaux migrateurs. Ils passent par milliers et se posent aux alentours. Ils sont gros comme un petit pigeon. Nous sommes restés une vingtaine et nous montons la garde 2h chaque nuit. Il y a un an, en pareil cas, nous montions la garde 4h par nuit ! Je dors sous une grande tente où on peut loger 25 à 30 personnes. Il y fait meilleur que dans l’écurie. Le poêle marche toute la nuit. La Cie n’est toujours pas rentrée et nous n’avons pas eu de messe ce dimanche. Ce matin, 2h de garde de jour, et la nuit dernière 4h  de 9 à 11h et de 3 à 5 h.

 

13 décembre 1956

C’est à " deux au jus " (à deux jours de la quille) que j’écris. Après ce sera du " plus au jus " (du rab, c’est à dire, maintenu sous les drapeaux). On s’éclaire toujours à la bougie ou à la lanterne. A la radio il est souvent question du djebel Amour. La Cie doit y être.

 

16 décembre 1956

Ce matin messe à Aïn-el-Adjard. Cet après-midi, pas de sortie. A 11h, un ordre est venu : " Cie en tenue de combat !". Une demi-heure après, tout le monde était parti. Ils étaient rentrés d’Aflou vendredi. Heureusement, ont-ils dit, qu’il y avait les avions qui en ont supprimé  une bonne partie à la roquette. Ils ont trouvé une grotte pleine d’armes et de munitions. Il y avait aussi de la farine et un moteur.

 

20 décembre 1956

La Cie est encore partie en opération (mercredi). Je suis resté à la ferme. La Cie est rentrée (vendredi) ils ont été héliportés, mais n’ont rien vu, sauf quelques suspects qu’ils ont, paraît-il, frappés (d’après leurs conversations).

 

25 décembre 1956

Veillée de Noël avec chants et petites pièces comiques. Ensuite un léger repas froid. Tous les gradés ont mangé avec nous, ainsi que notre ancien capitaine venu à la Cie pour le réveillon. Lorsqu’ils ont été partis, nous avons fait un deuxième repas, celui-là plus copieux, mais payé de notre poche : 1000 Frs (de l’époque). Nous étions une quinzaine de la section, les autres faisant bande à part. Il y avait des huîtres, du beurre, jambon, vin, cigares, un mouton que des Arabes nous ont rôti. Il y avait tellement d’entrain que je me suis couché à 5 h avec une cuite. Quand je me suis réveillé, j’ai vu mon copain prêt à sortir. Je lui demande : " On va à la messe ? ". Il me répond : " On en revient. Je t’ai secoué pour te réveiller mais il n’y a pas eu moyen ! ".

 

31 décembre 1956

Il y a eu une veillée comme celle de Noël avec vin et gâteaux, mais j’ai été sérieux. Les officiers étaient encore de la partie.

 


4 janvier 1957

La Cie part en opération demain matin. Aussi, comme je reste à la ferme, je vais monter 2 h de garde cette nuit. Il fait un temps magnifique : un beau soleil chaud.

 

13 janvier 1957

Ce matin, il y a une couche de neige de 10 cm. Dans notre grande écurie il fait moins froid depuis que les ouvertures sont bouchées avec du vitrex et du contre-plaqué.

 

1er février 1957

Jeudi matin, sommes partis en opération pas très loin d’ici et avons passé une nuit dehors sous les petites tentes.

 

3 février 1957

Ce matin messe à 11h. Cet après-midi, il y avait sortie en ville. Je suis resté pour laver un treillis et mon sac de couchage en toile. Ca remplace les draps (sac à viande).

 

6 février 1957

Maintenant nous avons des Arabes comme soldats (9). Ils ne parlent pas Français, boivent du café à la place de vin, et ne mangent ni pâté ni porc. On est pas fauché avec ça !

 

11 février 1957

Opération. J’en fait partie dans la région de Relizane avec plusieurs régiments. J’ai vu une vielle femme qui faisait de la farine : deux pierres plates, une tige de fer dans celle du dessous, et dessus, une autre pierre que la femme faisait tourner à la main. Ca doit demander du temps.

 

17 février 1957

Je vais perdre mon copain photographe (Jean-Claude Houssin). Il va aller au PC de la DIM pour travailler de son métier. Ma paye s’élève à 8000 Frs (ancien) par mois. Maintenant nous montons la garde deux fois 2h toutes les deux nuits.

 

2 mars 1957

Hier soir, une section est allée surprendre des fellaghas dans une mechta (sur renseignements). En les ramenant ils en ont tué un qui se sauvait.

 

7 mars 1957

Mal de dent, visite  chez le dentiste. Il me dit : " Je ne vois rien. Demain tu iras à l’hôpital pour passer une radio dentaire ". Et c’est ainsi que pour 10 mn de radio, j’ai passé presque deux jours à l’hôpital, et dormi une nuit dans un bon lit. Il y avait une douzaine de malades dans la salle, surtout des légionnaires Allemands.

 

17 mars 1957

Je commence à être fatigué de ma place. Il faut monter la garde toutes les deux nuits et travailler la journée. Ce n’est pas dur comme travail, mais quand-même ! En section ils ne sont pas tant occupés la journée. Aujourd’hui il fait un beau soleil. Il a plu toute la semaine.

 

23 mars 1957

Ce matin comme j’étais de garde de 9 à 11h, je me suis fait remplacer une heure pour pouvoir aller à la messe de 11h à Ain-el Hadjard. Aussi je vais reprendre cette heure de 4 à 5 h.

L’autre jour les Arabes racontaient à l’aide de l’interprète comment ça se passe pour se marier. D’abord, aux noces, les hommes et les femmes ne sont pas ensemble, ils dansent, chantent, se distraient séparément. Quand un arabe veut se marier et qu’il désire une fille, il le dit à sa mère. Pas à son père, car pour eux c’est déshonorant de leur parler des femmes. Entre eux il n’en est pas question. Donc la mère du jeune homme s’entend avec les parents de la fille pour le prix (cinquante à soixante mille francs pour une belle fille). Et les noces ont lieu. Bien entendu il n’est pas question de demander l’avis de la fille. Ceci se passe dans le bled. En ville de plus en plus se marient comme les Européens.

Le copain jaciste de la Mayenne a fait connaissance d’une jeune fille de Ain-el-Hadjard. Je ne sais pas si ça va marcher mais ça à l’air d’être bien parti. Elle est venue cette après-midi avec deux autres femmes. Elle doit retourner en France mais a retardé son départ, peut-être attend-elle qu’il ait la quille pour s’en aller avec lui. Il est du contingent d’avant moi. C’est Christian Lamoureux de Cossé le Vivien il est cousin avec M. Batté (boucher).

 

28 mars 1957

Dimanche nous avons eu la messe à la ferme, l’Aumônier était de passage. Il y avait une vingtaine de gars. Ca manquait d’entrain, il aurait fallu des chants et prières. Surtout qu’à l’autre bout de l’écurie certains faisaient marcher un poste et d’autres ne se gênaient pas pour parler fort. L’endroit était mal choisi. On aurait dû dresser l’autel dans un endroit plus isolé.

Nous avons maintenant du cinéma une fois par semaine puisque nous avons un groupe électrogène. Ca éclaire mieux et me permet de prendre le rasoir électrique.

Aujourd’hui nous avons bien mangé. La Cie est partie en opération hier soir. J’ai monté 4 h de garde la nuit dernière et vais reprendre 2 h cette nuit. Comme travail aujourd’hui, j’ai lavé un pantalon. Puis j'ai modifié les pièces matricules de tout le contingent 55/1 en remplaçant  "pendant durée légale" (PDL) par "maintenu sous les drapeaux". Ca demande du temps et il y en a assez long à mettre.

 

7 avril 1957

Cet après-midi, pas de sortie en ville. Une section est partie au Kreider où le train a sauté sur une mine. Uniquement des blessés et beaucoup de marchandises perdues.

 

11 avril 1957

Sans doute entends-tu à la radio tous les attentats qui se passent dans la région. Ne t’en fais pas, ce n’est pas moi le plus en danger. Il y a du côté de Wagramm une forêt où se cache une bande qui fait des coups de temps en temps, comme des loups. Le meilleur moyen serait de brûler cette forêt, il y a déjà eu plusieurs opérations mais impossible de les trouver.

 

14 avril 1957

Triste dimanche des Rameaux aujourd’hui. Il fait froid et il pleut. Nous avons quand même eu une accalmie pour jouer au volley où nous avons eu bien du plaisir. Ce matin nous n’avons pas eu de messe. Pour remplacer, nous étions une dizaine dans la cave pour réciter les prières de la messe et lire l’évangile des Rameaux.  Maintenant je tape bien à la machine je vais assez vite.

 

25 avril 1957

Une embuscade a été tendue à un camion de la 2ème Cie. Maintenant il n’y a plus de sortie à moins de 3 ou 4 camions, distants de 100 m les uns des autres. Les soldats Musulmans font le carême, ils se lèvent la nuit pour manger. Le jour, ni boisson ni nourriture, pas plus que de tabac. Ils ne montent jamais la garde (la confiance n’est peut être pas totale).

 

28 avril 1957

Pas de messe, nous sommes consignés. Les arabes vont fêter la fin du Ramadan. Aussi il vaut mieux être prudent. Temps couvert et assez froid. Ce midi nous avons mangé le méchoui rôti par les Arabes, fait avec les moutons du colon.

 

3 mai  1957

Sommes en mai mais avons encore allumé le poêle. Toutes les feuilles des arbres n’ont pas encore poussé. La vigne non plus, par contre le blé est beau. En ville de Saida (plus bas en altitude) il fait déjà bien meilleur.

 

6 mai  1957

Samedi nous étions à déjeuner en ville. Nous étions 5 de la même classe. Le repas était payé par le foyer central à l’hôtel d’Orient, grand hôtel de Saida. C’était un bon repas et nous étions assez joyeux. Un copain a voulu me saouler mais c’est lui qui s’est trouvé saoul ! Il était rigolo, il disait toujours " c’est pas beau, c’est pas beau ! ".  Il a fallu qu’on le couche. Le lendemain  matin il ne se rappelait plus de rien.

 
Partis en opération depuis lundi. Deux nuits sous la petite tente à une trentaine de km de Saida. Un pauvre " bougnoul " qui se sauvait devant nous a reçu une balle dans la jambe. Ils l’ont mis en ambulance. Certains disaient : " Il vaut mieux le finir ". Mais heureusement ce ne sont pas eux qui décident . Même avec un pied de moins le pauvre aime encore mieux être vivant.

 

22 mai  1957

La classe 1/B  embarque pour être libérée le 3 juin sur l’Hatos 2 (c’est le nom du bateau). Notre tour sera au plus tard un mois après.  En ce moment il y a des suspects prisonniers à la ferme. Ils sont une quinzaine. Ils font les corvées. Un adjudant-chef n’est pas tendre avec eux (il a pourtant été prisonnier). En plein midi il les a mis nu-tête en plein soleil.  Nous ne sommes pas près d’avoir la paix dans notre monde avec de tels moyens.

 

10 juin 1957

Il n’y a pas beaucoup de travail au bureau en ce moment. Les papiers pour notre libération sont faits. Je n’étais pas le dernier pour les faire. Nous sommes donc à " 14 au jus " si on embarque le  27.

 

16 juin 1957

Cet après-midi, pas de sortie en ville. J’ai fait la sieste mais les mouches nous empêchent de dormir. On n’a pas beaucoup de courage même pour jouer. On a commencé à arroser la quille. C’est le soir que ça se passe, deux fois la semaine. Il faut alors ingurgiter 3 ou 4 bières en chantant. Un petit cercueil préside sur la table, fermé à clé, où les gars mettent leur obole. On l’ouvrira le dernier jour. Nous avons aussi une grosse quille avec les douze noms dessus.

 


24 juin 1957

Ce n’est pas le 27 que nous embarquons, c’est pour le 3 juillet. On commence à trouver le temps long. 24h d’opération pour la Cie. Pierre m’a écrit : il me parle du 3 août, jour de son mariage. Les premiers jours que je vais travailler seront durs, je n’ai plus l’habitude, j’attraperai des poulettes !! La nuit dernière, j’ai monté deux heures de garde sur les grandes cuves à vin. Par une fenêtre, on surveille un côté de la ferme. C’est assez sinistre : un immense bâtiment ou les chauves souris virevoltent autour de nous et où les chats se battent et grognent. Ils mettent toujours des anciens à ce poste : un qui aurait peur trouverait le temps bien long !

 

27 juin 1957

Avant-hier je suis descendu à Saida pour quelques emplettes. Comme j’avais du temps je suis allé avec des copains à la piscine. Je fais quelques progrès en natation. Je ne me risque pas encore où je n’ai pas pied. Je le pourrais mais j’ai la frousse ! Les récoltes sont commencées. Une section est à protéger les machines. Ici les récoltes sont plus en retard que dans le reste de l’Algérie. L’autre jour un indigène est venu prévenir qu’un type habillé en militaire rodait par chez lui. Une section y est allée et a tiré dessus. Ils l’ont arrêté. Il n’a pas été touché. Malheureusement un petit arabe de douze ans a reçu un balle en pleine poitrine : il était caché dans le blé. Le militaire était un déserteur de la légion, un Allemand. L’aspirant Alsacien parlait avec lui. Ils l’ont ramené à sa caserne. Le petit arabe est le frère d’un soldat qui est avec nous, ça fait mauvais effet . Il fait grand chaud mais comme on n’a rien à faire on n’est pas à plaindre. Il est maintenant question du 3 pour embarquer.

 

4 juillet 1957

Les deux gars d’Evron m’ont dit qu’une piscine était en construction et qu’elle serait inaugurée cette été.  Ici j’y vais de temps en temps. Maintenant je la traverse dans sa longueur : 30 m. Personne de la classe 55/1 C ne travaille plus, on monte juste la garde. Il y a des tourbillons de poussière et de sable de temps en temps. On dirait un incendie. On voit ça au loin : de gros nuages noirs. Il y a encore pour 15 jours de moisson. Les batteuses travaillent tous les jours, mais il y en a tellement grand (700 ha pour la ferme).  Les champs de 100 ha ne sont pas rares. Nous sommes mangés par les mouches. Je ne sais pas encore quand nous embarquons, on dirait qu’ils veulent nous faire souffrir à petit feu le plus longtemps possible, c’est vraiment pénible. La Cie est partie en opération. Les libérables sont restés à la ferme. Cette semaine notre gros travail était d’aller escorter la soupe aux sections qui protègent les moissonneurs. Aujourd’hui ils battent près de la ferme puisqu’il n’y a personne pour les protéger. Il y a une douzaine de batteuses. Notre adjudant nous a fait perdre une demi-journée. Monsieur chassait à l’affût les tourterelles près d’un puits et il fallait l’attendre. Toujours pas de nouvelles pour la libération cela devient inquiétant.

 

18 juillet 1957

J’ai envoyé un modèle de lettre à mes parents pour le Colonel. On verra bien ce que cela donnera. On ne risque rien ! (permission pour le mariage de Pierre).

 

21 juillet 1957

Au poste nous avons entendu la date de notre libération : au plus tôt le 25 août.  J’attends le certificat pour poser ma permission. J’ai très peu d’espoir qu’elle soit acceptée. Depuis le début des moissons il n’y a plus de sortie (ni messe, ni piscine).

 

 
Après cette dernière lettre pessimiste, je suis débarqué à Marseille le 31 juillet. Ma demande de permission exceptionnelle (10 jours) étant acceptée j’ai pu aller aux noces de Pierre et Simone. Il était temps que ça finisse, autant pour moi que pour le cahier (je suis arrivé à la dernière page). Mes copains ont fait un mois de plus. Après ma permission j’ai été muté à Rennes, et, de là, on m’a renvoyé dans mon foyer le jour même. J’ai rendu ma tenue militaire à la gendarmerie.

Je fus obligé d’envoyer un télégramme à ma Cie pour demander une prolongation de permission. Par retour, ils m’ont répondu : " Adressez-vous à Rennes où vous êtes muté. ". Autrement, je retournais à Marseille, et là il m’auraient renvoyé à Rennes !

 

21 janvier 2003

Cette description de mon service militaire a été possible grâce à Marie-Josèphe qui avait conservé mes lettres et sur lesquelles j’ai pu relever tous les détails, dont certains sont partis de ma mémoire.

Et grâce aussi à Nicolas et Pascale qui m’ont prêté leur ordinateur pendant leur séjour en Afrique. Mais ceci est une autre histoire qui sera écrite par eux un jour…

Quelques détails qui vous intéresseront peut-être : au début de mon séjour j’avais un pistolet-mitrailleur PM  MAT 49, ensuite j’ai eu un fusil Américain, le garant à 8 coups. Je me rappelle encore son numéro. Il fallait se le mémoriser pour le prendre au râtelier, car on craignait les vols, et les armes de ceux qui dormaient étaient enchaînées. Au début nous couchions sur nos armes, ou du moins à côté.

Je pense avoir fait une douzaine d’opérations, parfois d’un jour, parfois de 15 jours.

Il y a eu quelques cas de tortures à la Cie. Je pense que les grands responsables de cette guerre sont  les hommes politiques (qui sont morts maintenant). Ils n’ont jamais voulu associer le peuple Algérien au gouvernement de leur pays, ce qui aurait pu éviter aussi le retour massif des Pieds-noirs. Tout le monde y aurait gagné.

Signé :1ère Classe Rouault Michel, 8éme R .I .M, 3éme Compagnie Saida (Oranie).

P.S. : Je remercie mes enfants qui m’ont donné quelques cours d’ordinateurs pour faire ce travail !

TCHAO !!