La guerre et la captivité




Joseph Sablé


le 24 août 1996 











Début de la guerre

Fin Août 1939, La France déclare la guerre à l'Allemagne Hitlérienne.

Le 1er Septembre 1939, la mobilisation générale est décrétée. J'ai dû quitter le foyer familial, le mercredi 6 septembre. Marie Josèphe avait à peine 4 mois. J'ai dû me rendre à Rennes, à la caserne Marguerite. Là, je fus affecté à la 10ème Compagnie d'infanterie qui fut formé à l'école St Yves. Nous faisions partie du 241ème régiment d'infanterie.

Le 19 Septembre 1939, le régiment a quitté Rennes pour se rendre aux alentours de Nantes. Ma compagnie dû se rendre dans un petit pays, Le Bignon où nous logions dans une école. De là, je pu m'en aller en permission, une de 24H et une autre de 4 jours. Entre temps, nous allions aider à faire les vendanges.

Le 17 Octobre 1939, le régiment entier, nous avons pris le train à Nantes pour nous rendre dans le Nord.

Le 19 Octobre 1939, nous avons débarqué à Saint Pierre Brouck (1), pour se rendre, ma compagnie et moi, à Millan (2), pour quelques jours.

Le 21 Octobre 1939, nous avons fait à pied sous la pluie 25 kms pour nous rendre dans un petit pays Wylder (3) à 10 km de la frontière Belge. Nous étions logés dans des fermes. Pour nous occuper, on nous faisait faire, pas très près de la frontière, dans des beaux champs de blé, des fossés antichars, et qui n'ont servi à rien.

Le 25 Novembre 1939, nous avons quitté ce pays pour se rendre à Rubrouck (4), faire des manœuvres.
Le 10 Décembre 1939, nous sommes partis pour nous rendre sur la frontière Belge, notre passe-temps était de monter la garde.
Le 16 Décembre 1939, je suis parti en permission, j'ai eu le bonheur de passer Noël et le jour de l'an en famille.
Le 2 Janvier 1940, j'ai rejoint ma compagnie.
Le 10 Janvier 1940, nous avons quitté ce petit pays pour retourner à Rubrouck(4) refaire des manœuvres, dans la neige. Je fus affecté à la cuisine.
Le 25 Janvier 1940, nous avons fait 25kms, dans la neige, pour nous rendre à Oost-Cappel, petit pays moitié Français, moitié Belge. J'ai été logé chez des braves gens.
Le 4 Mars 1940, nous avons quitté ce pays pour nous rendre à 7kms plus loin, dans une ferme. Nous avions la bougeotte.
Le 14 Mars 1940, je suis parti en permission de 15 Jours.
Le 30 Mars 1940, j'ai dû rejoindre ma compagnie dans une ferme pas très loin d'Houtkerque.
Le 12 Avril 1940, il y a eu une alerte, nous devions plier bagages en vitesse pour prendre la direction de la Belgique, nous nous sommes installés dans une grande usine à Hentechoque (Hondschoote), une fabrique de carton. Nous y sommes restés, jusqu'au 19 avril, l'alerte étant levée nous devions rejoindre notre ancien cantonnement.

La permission : Marie-Jospéphe est malade


Le 9 Mai 1940, au matin, j'ai reçu un télégramme, m'annonçant que Marie Josèphe était gravement malade. J'ai eu droit à une perme de 10 jours. Je suis parti au soir, pour arriver chez moi le lendemain après-midi, en passant par Paris.
Le 10 Mai 1940, au matin, comme j'étais à la gare de Montparnasse, il y a eu alerte, les avions allemands survolaient Paris. Mais sans bombarder, et j'appris que l'armée Allemande était rentrée en Hollande, en Belgique et au Luxembourg. Malgré cela, j'ai pu prendre le train et rentrer chez moi. Tous heureux de me retrouver en famille, Marie-Joseph allait déjà mieux. C'est dommage que durant cette perme, que je me suis pas cassé un bras ou une jambe, ce qui m'aurait évité de passer cinq ans de captivité en Allemagne.

La défaite

Le 16 Mai 1940, je suis parti très tôt, départ très dur. Je ne partais qu'à regret, car la bagarre été déclenchée. J'ai pris le train à Evron, en direction du nord, pour rejoindre mon régiment qui évidemment n'était plus là. Il était monté en Belgique, je suis donc arrivé le 17 au matin à Bergues(8).
Le 18 Mai 1940, je suis allé à Schott (9 socx), au soir je suis parti pour Uzebrouk (Hazebrouck ?), ou j'ai passé la journée du dimanche avec d'autres camarades qui comme moi rentraient de permission, ne pouvant pas avoir de communication pour la Belgique, nous sommes partis pour Bergues.
Le 20 Mai 1940, je suis retourné à Schott (9 socx). Durant cette journée il est arrivé des camarades de ma division qui s'étaient évadés de l'Ile Fléksime (Lissewege ???) près de la Hollande. Les allemands étaient arrivés avant eux. Ce fut donc pour eux, le sauve qui peut, le moral n'était pas bon.

Le 21 Mai 1940, des cars sont arrivés nous chercher. Car nous étions nombreux, ils nous ont transporté jusqu'à Dunkerque, de là, un petit train électrique nous a transporté à Ostende(1) en Belgique. Nous avons été rassemblés dans une caserne et à peine rentré nous avons été bombardés, nous nous sommes réfugiés dans une cave, où nous avons très peu dormi. Car le bombardement a duré une partie de la nuit Il est tombé quelques bombes, très proche d'où nous étions.

Le 22 Mai 1940 au matin, nous sommes partis à la recherche d'un lieu plus sûr. Nous sommes allés dans un petit fort sur le bord de la côte. Mais nous n’y sommes pas restés, nous avons passé la nuit dans un abri. Nous étions très mal couchés. Le lendemain, nous sommes repartis dans les dunes chercher abri dans les blockhaus de l'ancienne guerre. Mais dans la matinée, un officier de mon régiment est venu nous chercher. Nous sommes partis en camion rejoindre la compagnie sur la frontière de la Hollande qui tenait position sur le bord d'un canal.
Le 24 Mai 1940, nous avons changé de position, ainsi que le 26, sans avoir eu de contact avec les Allemands.
Le 27 Mai 1940, au soir nous sommes partis à pied en direction de Bruges.
Le 28 Mai 1940, au matin, comme nous étions arrêtés sur le bord du canal, nous avons été mitraillé, il y a eu quelques tués et blessés. Des cars sont venus nous chercher pour nous emmener en direction de Dixmude. Nous sommes passés par Bruges, les rues étaient pleines de réfugiés. Ces pauvres gens qui s'étaient sauvés devant l'armée Allemande et qui avaient été refoulés à la frontière française. Car nous avons appris que l'armée avait capitulé et que les Allemands étaient arrivés à Dunkerque, donc nous étions encerclés. Nous pouvions avancer très lentement, vu la foule qu'il y avait dans les rues. Des bombardiers allemands, nous ont survolés. Mais heureusement, ils n'ont pas lancé de bombes. Car quel carnage cela aurait pu faire, dans toute cette foule.
Les cars nous ont emmenés sur le bord de l'Yser, où la compagnie a pris position, dans les anciennes tranchées de la guerre 14-18. Ces tranchées étaient appelées " les boyaux de la mort ", en souvenir de la résistance de l'armée Française, dans cette région pendant la guerre 14-18, même à Dixmude, il y a un monument en leur mémoire.

Pour nous et d'autres camarades, nous fûmes dans une ferme, où est installé le bureau de la compagnie. Moi, je m'occupais de la cuisine avec d'autres camarades. Certains s'occupaient du ravitaillement, portaient à manger à ceux qui étaient dans les tranchées.
Le 29 Mai 1940, au matin la ferme fut bombardée par l'artillerie allemande à deux reprises différentes.
Il y a eu un camarade de tué et plusieurs blessés. La bagarre a duré une partie de la journée. Ceux qui avaient pris position ont été obligés de se rendre. Ils ont été faits prisonniers avant nous.

Dans l'après-midi, nous fumes encore bombardés et mitraillés de tous les côtés. Nous étions cernés, il n'était pas question de résister, surtout qu'il y avait beaucoup de réfugiés dans la ferme. Ils étaient à l'abri dans une cave, le bombardement avait repris, heureusement sans faire trop de dégâts. Nous avions décidé de nous rendre, l'adjudant de la compagnie qui été là n'a pas eu le courage de préparer le drapeau. C'est le patron de la ferme qui m'a donné une serviette blanche et une tringle pour faire un drapeau blanc. Je suis monté dans le grenier, enlevé une brique et fixé le drapeau. Il m'a été tiré dessus, mais je ne fus pas touché, dommage car si j'avais été blessé, je n'aurais pas été prisonnier.

Vers 6h du soir, quatre soldats allemands sont arrivés à la ferme et nous ont fait prisonniers. Nous étions une douzaine de soldats valides restés à la ferme. Nous fûmes emmenés dans une grande ferme, où on reçut chacun un bol de lait. Ensuite nous montons sur des caissons du 50ème régiment d'artillerie de l'armée Française qui avait été fait prisonnier le même jour.

La déportation en Allemagne

Nous fîmes une dizaine de kilomètres pour nous arrêter dans un pré sur le bord d'un canal. Nous avons couché sur l'herbe à la belle étoile

Le lendemain très tôt, nous sommes repartis pour Torhout, nous fumes rassemblés dans une usine, nous étions quatre à cinq cents, dans la cour. Il y avait une dizaine de cuisines, roulantes françaises avec lesquelles nous avons pu manger un bon repas. Là, j'ai appris que tous les camarades de ma compagnie étaient faits prisonniers à part les malheureuses victimes.
Dans l'après-midi, nous sommes partis en camions, pour aller rejoindre d'autres camarades dans un petit camp auprès de la petite ville d'Alext (Aalter ?). Nous avions touché une boule de pain pour quatre et un peu d'eau. Le lendemain matin, nous sommes repartis à pied, nous étions bien mille prisonniers. Nous avions fait une trentaine de kilomètres sous un soleil ardent.
Heureusement que tout le long de la route, des braves gens nous donnaient à boire, soit du café ou de l'eau et même ils nous donnaient du pain, ce qui nous faisait grand plaisir, car la marche était très fatigante. Même deux camarades sont morts de fatigue.
Nous avions couché dans une prairie, comme nourriture du pain sec.

Le 1er Juin 1940, au matin, nous sommes repartis pour Termonde. Nous fûmes installés dans une caserne. Mais les bâtiments d'habitation étaient très petits pour loger cette foule. Alors nous nous sommes couchés ou nous avons pu, soit dans les écuries, soit sur les tas de fumier, ou dehors. La croix rouge Belge, nous a donné un bon repas chaud, une bonne soupe au riz et du bon pain blanc.

Le 2 juin 1940, au matin, nous sommes repartis assez tôt. Nous nous sommes arrêtés dans une usine, ou nous avons pu nous laver, ainsi que notre linge, car avec toutes ces marches sous le soleil et la poussière, nous étions dans un triste état.
Dans l'après-midi, nous sommes repartis, nous avons passé la frontière de la Hollande, nous nous sommes arrêtés à Axel (8). Là nous nous sommes rassemblés dans une gare qui était engrêlée, nous avons dormi à même le sol et comme nous étions très fatigués nous aurions pu dormir n'importe où... Dans cette gare nous avons rejoint un grand nombre de prisonniers.

Le lendemain matin, nous avons pris le chemin de fer pour nous rendre dans un petit port Narverbeck Vaest (9). Là, nous avons touché de la part de la croix Hollandaise, un repas chaud, une boule de pain et de la margarine, la moitié de nos camarades ont embarqués le matin. Nous autres, nous sommes revenus à Axel (8) dans notre gare. Là, il y avait une grande remise dans laquelle il y avait beaucoup de caisses mais la porte était fermée à clef, un prisonnier avec du fil de fer a réussi à faire un passe-partout et ouvrir la porte. Dans ces caisses, il y avait de la margarine, nous avons donc tous rempli nos gamelles de soldat que nous avions gardées. Ce qui nous était très utile sur le bateau.
Dans l'après-midi, nous sommes repartis, nous avons embarqué sur deux chalands traînés par un remorqueur. Nous étions entassés dans les cales nous pouvions à peine nous coucher.

Le 3 Juin 1940 au soir, nous avons pu remonter l'Escaut, ensuite dans la mer du Nord, nous avons longé les côtes jusqu'à l'embouchure du Rhin.
Le 4 juin 1940, nous avons eu un petit arrêt à Rotterdam, pendant cet arrêt, la croix rouge Hollandaise est venue nous apporter des casse-croûte. Pour la distribution, c'était la bousculade, ils avaient beau dire " patientez, il y en aura pour tout le monde ". C'étaient les jeunes soldats anglais qui faisaient plus de bruit. Ils étaient affamés, une grande partie des prisonniers français avaient un certain âge.

Ensuite nous avons remonté le Rhin jusqu'au petit port d'Emmerich am Rhein(2) en Allemagne. Le trajet a duré 2 jours, pendant lequel nous n'avons touché à aucune nourriture. Heureusement que nous avions nos gamelles de margarine d'Axel. Mais cela n'empêche que nous étions tenaillés par la faim et la soif.

Le 6 juin 1940, nous avons débarqué au matin, nous avons été rassemblés dans une prairie, où nous avons pu toucher du pain et un peu d'eau. Ensuite, nous avons pris le train, dans des wagons à bestiaux. Bien entendu, pour nous rendre au camp d'Hemer (3).

Le 7 juin 1940, au matin nous y sommes arrivés. Nous fûmes logés sous des grandes tentes. Nous étions très nombreux. Pour dormir, nous avions des planches. Dans ce camp la nourriture était assez bonne et suffisante. Il y avait des douches, nous pûmes faire grande toilette. Nous en avions grand besoin, après 10 jours de voyage fatigant.
Dans ce camp quelques camarades ont été employés au travail et ils y sont restés.

Le camp de Buchenwald

Le 16 juin 1940, nous autres, nous avons pris le train, nous étions tassés dans les wagons à peine si l'on pouvait se coucher.
Le 17 Juin 1940, nous sommes arrivés à Buchenwald (4), c'est une ville qui se trouve à 90 Kilomètres de Berlin.
Nous avons fait 3 km à pied, pour nous rendre dans un grand camp, nommé le stalag IIIA. Nous fûmes mis sous des grandes tentes, comme celle d'Hémer, mais nous n'étions pas les premiers à y passer, sur les planches où nous devions nous coucher, il y avait des poux qui nous dévoraient la nuit, dans ce camp la nourriture était médiocre et insuffisante.
Le matin, nous touchions un quart de jus bien clair , à 11H, une gargouille de pommes de terre, ou d'orge ou de pâtes ou de la choucroute, le soir un petit bout de pain de seigle, avec de la margarine, ou du saucisson, avec cela il fallait se serrer la ceinture, plusieurs camarades sont tombés malades.
Ce qui nous rendait le plus malheureux, c'était de ne pas pouvoir écrire à nos pauvres femmes et à nos parents qui devaient être dans l'anxiété. Ce n'est que le 25 Juin que nous avons pu écrire quelques mots sur une carte pour avertir le recrutement et ensuite nos familles que nous étions prisonniers.
Le 29 Juin 1940, nous avons passé à la fouille, ils ne nous ont laissé que le strict nécessaire, souliers, chaussettes, pantalon, chemise vareuse, calot et ustensile de toilette. Nous étions vraiment allégés, à part les poux qui restaient dans nos chemises, les tentes en étaient infectées de ces bestioles, notre passe-temps la journée, était de faire la chasse.
Ce jour-là, dans l'après-midi nous sommes passés aux douches, et nos vêtements, que nous avons mis, chacun son paquet, furent passés à l'étuve pour tuer les poux.
Après que nous fûmes rhabillés, nous nous sommes rangés, quatre par quatre. Et comme nous étions plusieurs Mayennais, nous désirions se suivre. Dans mon rang, Il y avait Doiteau, Madelin et un autre copain de Vilaine, derrière nous, il y avait Thuars, Roullane et deux autres copains, nous étions répartis par baraque. Un gardien nous comptait, et manque de pot, nous fûmes séparés, nous fûmes mis dans ces baraques propres, avec lits superposés avec matelas, nous étions mieux couchés.
Le Lendemain, 30 Juin 1940, nous fûmes vaccinés au sein, et il nous fut attribué à chacun, un numéro, moi, j'avais le numéro 33979.

Le travail à la ferme de Wahlendorf 

Le 1er Juillet 1940, Il fut désigné un lot de 30 prisonniers pour aller travailler en culture, je faisais partie de ce lot ainsi que tous les camarades Mayennais.

Le 2 juillet 1940, au matin, nous avons pris le train, nous sommes passés par Berlin, tout pavoisé, à cause de la victoire sur la France. Nous avons fait à peu près 100 km après Berlin (au nord-ouest), pour arrêter à Neuruppin, nous sommes arrivés à 6 heures le soir.
Nous avons descendu du train pour monter dans une grande remorque traînée par un tracteur, nous étions assis sur des bottes de paille, un gardien, nous accompagnait. Nous sommes atterris à Wahlendorf (5), dans une grande ferme soi-disant de l'état de 500 hectares et plus.
Nous fûmes logés à l'étage, dans une grande pièce qui devait servir de séchoir pour les récoltes, car il y avait tout autour une espèce de chauffage, mais il ne fut pas allumé durant l'hiver. Tout autour, des planches à certaine distance du mur pour maintenir la paille, où nous devions dormir. Au milieu deux grandes tables et des bancs en bois, nous avons touché chacun une assiette et un quart émaillé une fourchette, comme nourriture nous touchons le matin une tartine avec de la confiture, un quart de café, du seigle grillé, avec un peu de lait.
Pour le casse-croûte de 9 heures, deux tartines, soit avec de la margarine ou de la graisse de porc.
Le midi, nous avions une "paupouille" de pommes de terre, ou d'orge, ou carottes avec un peu de viande, le soir, pomme de terre en robe de chambre, avec un peu de sauce à la farine, ou quelquefois, du lait caillé.
Les premiers temps nous avions bon appétit. Après avoir jeûné pendant un mois, nous nous sommes lassés de cette ratatouille, et pourtant le menu ne variait pas beaucoup, malgré qu'il s’améliorât un petit peu, car ce fut un camarade qui était "boucher" de son métier, qui fut affecté à la cuisine pour nous et les Polonais. Car il y en avait cinq de restés à la ferme, pour conduire les chevaux, ce fut un camarade qui était boulanger de son métier qui faisait le pain pour tout le monde, du pain de seigle évidemment, le blé ne venait pas dans ce pays de sable.

Le lendemain de notre arrivée, nous avons commencé à travailler, le gardien venait nous réveiller 1 heure avant le départ au travail, le temps de faire un peu de toilette et prendre notre petit déjeuner, à 8h 1/2 nous avions une 1/2 h pour le casse-croûte, à midi nous avions 1h 1/2 d'arrêt et le soir, on finissait à 6h 1/2 , mais le temps de rentrer, quelquefois, nous étions assez loin, et une fois rentrés, il fallait aller laver et éplucher les pommes de terre pour le lendemain.
Quand nous sommes arrivés, il y avait beaucoup de travail en retard, du seigle de l'année d'avant à battre, du foin à rentrer et des étendues de pommes de terre à sarcler.
Au début, le gardien nous accompagnait au travail, au mois de septembre, un vieux prussien est venu à la ferme, comme chef d'équipe au moment du ramassage des pommes de terre, qui a duré 3 mois il y avait plus de 100 hectares.
Le 13 Septembre 1940, 10 camarades prisonniers qui venaient du camp de Verneuil en France sont venus en renfort pour ramasser les patates, ces garçons-là, avaient reçu la propagande nazie, tout juste s'ils étaient collaborateurs, surtout en parti, un sergent.
Dans les premiers jours de leur arrivée, on revenait d'une pièce assez éloignée, nous avions un bout de chemin de terre et ensuite une route peut-être 600m avant d'arriver à la ferme, ce jour-là, le gardien était avec nous, peut-être de combine avec le sergent qui voulut nous faire mettre trois par trois, et nous faire marcher au pas, mais pas un seul des anciens ne voulut l'écouter, il eut beau gueuler rien à faire.

En arrivant à la chambre, il y eu un ancien qui le prit par son bouc, et lui demandait s'il avait envie de rentrer en France et en lui disant, " nous sommes des prisonniers et non des soldats, si tu veux collaborer, engage-toi dans l'armée Allemande ", et les mots sont montés, il n'était pas fière et il n'a jamais recommencé, on en revenait pas comme ces gars-là avaient pu croire dans la propagande nazie, ils pensaient être libérés à Noël, mais ils ne leur avaient pas dit qu'elle année.

L'hiver est venu, il faisait très froid, nous allions étendre du fumier sur la neige, nous avions des patoches pour dormir. Nous avions fait des couvre-pieds avec de la balle d'avoine.

L'hiver 40-41, le patron a mis le chauffage de notre chambre en marche c'était plus agréable.
Cet hiver, j'ai travaillé à la distillerie de pommes de terre. Je commençais plutôt, et je touchais un casse-croûte supplémentaire, et j'étais au chaud.

Au début d'octobre 40, nous avions un gardien qui parlait le français, avant la guerre il était coiffeur à Paris, il avait été blessé au bras droit, il était là en convalescence, un jour que nous étions à arracher des betteraves, il avait son fusil, il aperçut un sanglier qui dormait dans un coin de chanvre, il le tue, pensant que nous allions le manger, nous lui arrachons les quatre pattes et avec un trique, nous l'avons apporté à la cuisine, mais quand la patronne vu cela, elle levait les bras au ciel, et le gardien se fit sermonner, le sanglier fut transporté à l'intendance par le laitier qui livrait le lait tous les matins à la ville de Neuruppin.

Quelques mois après, au mois de janvier 1941, le boulanger s'était levé assez tôt pour chauffer son four, qu'il chauffait avec des branches de sapins, il faisait à peine jour, il fut surpris de voir une biche couchée sur les branches, elle ne pouvait plus bouger, elle était blessée à une patte.
Il remonte vite à la chambre, nous annonça cela, nous étions trois qui travaillaient à la distillerie, plus le cuisinier boucher. Nous nous sommes donc levés, nous avons traîné la biche dans la chaufferie, il avait une grosse chaudière avec une grande cheminée, comme dans une usine, nous avons tué la biche, la peau, la tête, les pattes, les boyaux, tout dans le foyer.
Le cuisinier a pris ce qui fallait comme viande pour la journée et le reste nous l'avons monté sur le haut de la distillerie, où il y avait un genre de petit donjon en courant d'air et comme il faisait moins 20°, il n'y avait aucun danger pour la viande.
Mais le lendemain matin, le directeur de la distillerie me demanda : " Elle était bonne la biche ? "
Mais je faisais comme l'homme qui ne savait rien,
mais il dit " Ne fait pas l'imbécile " " vous avez été vu ", " où l'avez-vous mise ".
Je faisais toujours le gars qui ne savait rien.
"Mais, si vous l'avez montée là-haut, il faut aller chercher la patronne".
Nous sommes donc montés, mais quand la patronne a vu la biche, qui n'était plus entière, il n'était pas possible de l'expédier, elle demanda comment faire.
Moi, je lui ai dit : "Madame, prenez chacun un morceau et ne dites rien".
L'affaire fut classée ainsi, et nous pûmes manger de la biche avec le gardien.

Le travail à la ferme de Derrizt 

Le 22 Mai 1941, notre commandant fut remplacé par des prisonniers russes. Trois copains sont restés à la grande ferme, comme conducteurs de tracteur, ils y sont restés jusqu'à la fin de la guerre. Tous les autres camarades furent répartis dans les petits pays aux alentours pour travailler dans les petites fermes.
Moi, je fus conduit avec 9 autres camarades à Derrizt (Temnitzquell ?) à 2 Kms de la grande ferme.
Nous étions très bien logés, bien couchés, mous avions des lits superposés avec paillasse et de bonnes couvertures.
Je travaillais dans une ferme d'une quarantaine d'hectares.
Le patron était sympathique, il n'était pas nazi, il avait trois enfants 16, 15 et 9 ans. Je me plaisais bien chez ses gens -là.

Au début d'octobre 1941 un soir que l'on rentrait du travail avec les deux aînés, sur la route, on a rencontré deux jeunes à vélo. Ils se sont arrêtés pour dire bonjour à leur copain.
Un d'entre eux parlait français, alors je lui demandais pourquoi qu'il apprenait le français, il me répondit que, après la guerre il serait chef de culture en France. Alors je lui répondis en lui certifiant, qu'il ne serait certainement pas chef de culture en France, parce que l'Allemagne perdrait la guerre. Je crois que si la foudre était tombée à ses pieds, il n'aurait pas été plus surpris.
Il répéta aux fils de mon patron, qui à leur tour furent surpris. Ensuite je leur dis, " oui mes enfants, c'est bien triste pour vous, mais la Russie ce sera l'anéantissement de l'armée Allemande ".

Retour au camp de Buchenwald

Le 15 Janvier 1942, nous apprenons que dans les fermes où il y a assez de main-d'œuvre, les prisonniers français étaient enlevés, ce qui fut mon cas.
Le 28 Janvier 1942, il fallut rejoindre le stalag. Nous sommes partis de ce petit commando où l'on était si bien. Ce fus donc dur de dire au revoir au patron. Il avait le cœur gros, il me disait, tu vas aller travailler en usine, je te souhaite qu'il ne t'arrive rien, mais mes deux aînés seront bientôt mobilisés, et ils iront en Russie, en reviendront-ils, et il se mit à pleurer.

Nous avons donc rejoint notre camp à Buchenwald, où il se faisait un grand rassemblement de prisonniers qui venait d'un commando de culture, pour aller ensuite travailler en usine, remplacer les hommes qui étaient mobilisés pour combattre en Russie où l'armée Allemande subissait de grosses défaites.
Nous fûmes logés dans des baraques dans lesquelles il y avait des lits superposés, mais pas de paillasses. Nous couchions sur la planche, et il y avait des puces qui nous dévoraient la nuit.
Un soir, j'ai voulu dormir avec mes chaussettes ce fut encore pire.

Travail à l'usine chimique de Ruhland

Le 4 Février 1942 au matin, nous fûmes rassemblés 450, nous avons pris le train, nous avons descendu à la gare de Ruhland.
Nous avons fait 4 Kms à pied pour arriver dans un camp tout neuf au milieu de la forêt, nous fûmes répartis dans de grandes baraques qui avaient des lits superposés, mais avec paillasse. Malheureusement nous avions apporté des puces avec nous.
Le lendemain matin nous avons fait 3Kms pour rentrer dans de très grandes usines, où il était fabriqué de l'essence synthétique avec du charbon. Nous fûmes répartis par groupes, il y eu 3 groupes de 100 qui devaient faire un roulement de 3/8, un groupe de 150 dont je faisais partie, à l'entretien de l'usine.
Les gars qui furent attribués aux groupes des 3/8, avaient un travail malsain. Ils devaient travailler aux fours ou le charbon était dissout, 2,5 tonnes à chaque fois, tous les 1/4 heures. Il fallait qu'ils ouvrent une vanne pour que le charbon en fusion s'échappe. Pour se refroidir, il était arrosé. Mais il s'échappait une fumée de gaz que ces pauvres gars respiraient. Il n'y avait pas de masque, beaucoup de ces pauvres gars en sont morts, l'année suivante.
Il y avait 21 fours en action dans cette usine. Ils tiraient de l'essence avec un mélange de charbon, du coke et du charbon qui étaient tirés des mines à ciel ouvert. Elles étaient situées à quelques kilomètres de l'usine au milieu de la forêt. Sous quelques mètres de sable, ils obtenaient du charbon, qu'ils puisaient avec de grandes dragues, qui marchaient électriquement. Ce charbon était chargé dans des wagons qui le transportaient dans une usine pour obtenir des briquettes. Et était acheminé dans notre usine, dans des wagons qui s'ouvraient par le bas, pour descendre dans de grandes soutes situées sous la ligne de chemin de fer. De là, ce charbon ainsi que le coke étaient transportés par tapis roulant aux fours en action.
Le groupe de 150, dont je faisais partie, fut affecté à l'entretien. Nous étions un groupe de 25 à la centrale, d'où partait la chaleur pour dissoudre le charbon dans les 18 fours qui étaient en action.
Ce groupe de 150, était installé dans la même baraque, nous devions être réveillés avant 5h, le temps de faire un peu de toilette, et prendre notre petit déjeuner. Celui-ci se composait d'un peu de café, d'une tartine de pain, un peu de margarine. Ensuite départ à 5H 1/2 pour aller à l'usine, 1/2 h de marche. Le soir, nous rentrions à 6H 1/2, rien dans le ventre, nous touchions la soupe du midi en rentrant, ainsi que celle du soir peu après.
Nous ne pouvions pas prendre avec nous biscuits et chocolat de nos colis. On était fouillé en rentrant dans l'usine, et on nous piquait tout. Ils ne voulaient pas que l'on fasse de la propagande antinazie avec les ouvriers. Nous sommes donc arrivés à leur faire comprendre qu'ils étaient en guerre. Pour la question d'être sans manger, nous nous sommes plaints à l'homme de confiance. Ce dernier a été voir la direction pour expliquer notre cas. Elle voulait bien qu'une voiture de l'usine aille chercher notre soupe le midi, mais l'adjudant-chef du commando, a refusé.
Un soir, tous, nous avons décidé de faire grève : de ne pas aller le lendemain matin au travail. Mais il y eu un mouchard, ou peut-être des écouteurs qui enregistraient tout ce que l'on se disait dans les chambres. Toujours est-il que le lendemain matin avant 5h, quand un gardien est venu ouvrir la baraque et nous dire de se lever, l'homme de confiance est arrivé pour nous dire les gars levez-vous, vous devez aller travailler comme d'habitude. L'adjudant est au courant. Il fit venir l'armée, sept mitrailleurs, nous attendaient au poste. Habituellement le gardien nous appelait de la porte pour sortir. Mais ce matin-là, il y avait un gardien par chambre, pour nous faire sortir à coup crosse de fusil, mais personne n'a bronché, nous sommes sortis et passés devant les mitrailleurs.
Mais le long de la route, nous avons décidé d'aller travailler. Mais nous ferons semblant, chose qui fut faite, dans notre équipe. Ceux qui travaillaient à l'intérieur de la Centrale à la construction d'un four, faisaient leur possible pour amuser les ouvriers allemands et comme ils n'étaient pas courageux, tout marchait bien. Pour mon équipe notre travail consistait à remplir des tuyaux de sable, qui étaient mis sur des braseros, ensuite pour leur donner la forme nécessaire. Ces tuyaux assez longs (15cm de diamètre) étaient suspendus à un poteau sur lequel il y avait une petite plate-forme sur celle-ci, un camarade vidait les sceaux de sable. Ce dernier montait à l'aide d'une poulie, tout cela nous le faisions d'une lenteur imaginale pour tasser le sable. Je donnais peut-être un coup à la minute, le directeur du chantier, de son bureau, nous voyait.
Au bout d'une dizaine de jours, il m'appela " SABLE ", il était en colère, il me demanda qu'est-ce-qui se passait. Vous ne faîtes plus que semblant de travail, au four, c'est la même chose, il faudrait que ce four soit mis en marche dans 15 jours, et il ne sera pas près, mais enfin que se passe-t-il.
Je lui répond : " Vous, Messieurs, ainsi que les ouvriers allemands, à midi, vous allez manger à la cantine, prendre un bon repas, nous, nous n' avons rien, que de l'eau, et en plus dans la baraque que nous avons pour le midi, nous ne possédons pas de banc, si l'on se couche sur le parquet, les gardiens de l'usine viennent nous faire lever à coup de pieds dans le derrière, et en plus nous avons faim, nous avons demandé à avoir de la soupe le midi.
La direction est d'accord, pour nous l'apporter, mais l'adjudant-chef du commando a refusé de la donner. Nous sommes des prisonniers de guerre, nous voulons être traités en hommes et non en esclaves.
Le Directeur, me demanda : "si vous avez de la soupe le midi, est-ce que vous reprendrez normalement le travail".
Je lui répondis " Oui ", les français n'ont qu'une parole.
Il téléphona donc à la direction, et expliqua ce que je venais de lui dire. Deux jours après, nous avions de la soupe le midi, pour les 150, et les " schupos " gardiens de l'usine venaient nous embêter.

Accident de travail

A la fin de juin 1942, il nous fallait monter un tuyau en hauteur. Nous avions des palans, un ouvrier nous aidait. Il était monté sur un mur, il tirait à l'aide d'une ficelle, il fit un faux pas et le radiateur de plus de 100 kilos mal fixés, tomba sur ma jambe droite, l'écrasant, le genou fut aussi atteint.
Avec une petite voiture électrique, on me transporta au commando, et à peu près tous les jours, on venait me chercher pour que le Docteur de l'usine me soigne. Il était bien sympathique.
Et au commando, j'allais tous les jours faire des pansements par l'infirmier. Lui aussi était très sympathique, il me mit d'ailleurs exempt de travail jusqu'au 15 Septembre. Je passais mon temps à me balader dans le camp ou quand il faisait beau, je dormais sur la bruyère.
Je rencontrais souvent l'homme de confiance, un jour au début d'août, il me dit je ne sais ce qui se passe, il y a quelqu'un, qui vole dans les colis des prisonniers, en particulier chocolat, biscuits, sardines à l'huile.
Tous les colis qui nous venaient de France ne nous étaient pas donnés dans ce commando. Il y avait une grande chambre spéciale, où chaque prisonnier avait sa petite case, où était déposé le contenu du colis. Deux listes étaient faites pour chaque colis. Une restait dans la case et l'autre était remise aux prisonniers.
Tous les soirs quand nous étions de retour du travail, il y avait une distribution des colis. Mais nous ne pouvions prendre qu'une seule chose à la fois, qui était effacée sur chacune des deux listes, ce qui fit ouvrir l'œil à l'homme de confiance.
J'ai une clef de la chambre et l'adjudant peut rentrer dans celle-ci. Un soir me baladant à la nuit tombante, j'aperçus de la lumière dans cette fameuse chambre, je m'approche, qu'est-ce je vis, l'adjudant remplissait ses poches. Je sautais vite dans la baraque, où couchait l'homme de confiance, il s'appelait " Werber " Je lui dis viens vite, le voleur est dans la chambre. Il avait des grandes jambes, il fut rendu avant moi, le voleur était encore là : ne dit rien j'irai demain à la direction.
La direction fut donc mise au courant le lendemain comme convenu. Et comme elle n'aimait pas l'adjudant, elle a prévenu la commendataire, il fut pisté. En descendant de son vélo à la porte de Ruhland pour expédier les colis à ses copines, il fut arrêté et l'on ne l'a plus revu. Il fut remplacé par un ancien qui aimait les Français. La vie devient donc plus agréable et la nourriture meilleure.

Travail à l'usine de sidérurgie de Finsterwalde

A la fin de septembre 1942, nous apprenons que nous allons quitter ce fameux commando et que nous allons être relevés par des Italiens. Au mois d'août, les Américains ont débarqué en Italie, et l'armée Italienne a capitulé, et une partie des soldats Italiens furent prisonniers par leurs amis les Allemands, ce qui nous faisait rire et nous donnait de l'espoir. L'armée Allemande allait de défaite en défaite, elle était coriace, ils ont tenu jusqu'à l'anéantissement de l'armée complète. Ce qui a demandé encore beaucoup de temps, puisque les Allemands n'ont signé l'armistice que le 8 Mai 1945.

Le 8 Octobre 1943, nous avons quitté ce fameux commando, dont nous gardions que des mauvais souvenirs, quelques jours avant de partir, nous avions touché nos colis. Nous nous rendons à la gare de Ruhland, prendre le train, pour aller 25 Kms plus loin à Finsterwalde. Là, nous fûmes répartis en trois lots, pour aller travailler dans trois usines différentes.
Pour moi, nous étions 150, nous logions dans des baraques bien insalubres. L'hygiène faisait défaut, la nourriture laissait aussi à désirer, mais nous étions libres de sortir le dimanche et même dans la semaine. On arrivait à se procurer du pain ou des pommes de terre.

L'usine où je travaillais, faisait beaucoup d'appareils électriques, dans mon atelier, on fabriquait des postes à soudure, pour souder tank, sous-marins et autre gros matériel. Mais je fus mis à aider un Allemand sur une grosse perceuse moderne et précise. Le travail était peu fatiguant et propre. On commençait le travail à 6h du matin et finissait le soir à 18h. Nous avions 1h le midi, pour manger une nourriture bien moyenne, heureusement que nous recevions bien nos colis de France pour améliorer l'ordinaire.
Le dimanche, nous sortions, et nous allions souvent en forêt, cueillir des champignons. Quand nous fûmes arrivés, dans ce nouveau commando, on nous demandait si on voulait assister à la messe, le dimanche. Nous devions nous rassembler à 9h 1/2 pour nous y rendre. Car la messe était célébrée dans un autre commando, par un prêtre prisonnier.
A notre arrivée, je vis également mon camarade Joseph Shuard, avec qui j'avais fait mon service militaire, au Maroc. Nous avions fait la guerre et nous avions été prisonniers. Nous nous sommes séparés à la fin de juin 1940, au moment que nous partions travailler. Il travaillait dans une menuiserie et il y resta jusqu'à la fin, beaucoup de ses camarades travaillaient chez des particuliers en ville. Ils arrivaient à se débrouiller. Moi, je faisais toujours partage avec Roger Daumère et le petit Louis d'origine Polonaise. Il habitait le nord où il était mineur de son métier.

Pour les fêtes de Noël et du jour de l'an 44, nous avions essayé d'améliorer l'ordinaire le mieux possible. Les premiers jours de l'année se passèrent, dans le calme à part quelques alertes. Le lundi de la Pentecôte, je me promenais avec des copains en forêt, tout d'un coup, nous entendions un ronflement d'avion qui passait au-dessus de nous. L'usine d'essence synthétique fut bombardée. On voyait de la fumée, cela nous faisait plaisir. Mais, malheureusement les Allemands remirent au plus vite, tout en œuvre pour que l'usine continue à tourner.
Ils allaient manquer d'essence, car en Russie, ils avaient beaucoup de défaites, et l'essence leur était nécessaire. Elle venait de Russie.

Le 6 juin 1943, nous apprenons que les alliés étaient débarqués en Normandie, cela nous donnait beaucoup de courage, la fin approchait, les bombardiers alliés sont venus à plusieurs reprises bombarder la fameuse usine qui fabriquait de l'essence.

Travaux à la gare de Ruthland


A la fin de juillet 1943, un dimanche matin, les gardiens désignèrent 60 hommes pour soi-disant, refaire la gare de Ruhland qui était très proche de la fameuse usine. Des camions ont été mis à notre disposition pour se rendre. Nous avons passé par Schwarheide (usine BASF aujourd'hui), pays que nous connaissions. Après le carrefour, nous aurions dû tourner à droite pour aller à la gare, mais les camions ont tourné à gauche, vers la fameuse usine. Cela nous fit un choc, on se disait : ils nous ont encore menti. Enfin il fallait bien suivre, nous avions longé l'usine qui était dans un drôle d'état. Nous sommes arrivés à l'entrée, que nous connaissions bien, les bureaux n'avaient pas trop souffert. On demanda au gardien, où il fallait s'adresser, car on avait peur de revenir dans cette usine.
Après un certain temps, on nous annonça que la Direction n'avait reçu aucun ordre. Elle ne savait pas quoi faire de nous. Alors de tout cœur on cria : " il faut nous ramener d'où l'on vient ". Mais, un officier allemand arriva, il parlait assez bien le français. Quand il nous a vu, il dit " Ah, voilà mes hommes, vous serez là une dizaine de jours, le temps de refaire les voies à travers l'usine. Il dit également au gardien qu'il fallait retourner à Schwarheide qu'il y avait des baraques pour nous loger.
Pendant ces dix jours, nous fûmes assez bien nourris, par l'armée. Tous les matins, nous partions à 6h, nous travaillions à refaire les voies de chemins de fer, il y avait des trous à remplir, poser des traverses et des nouveaux rails, car les anciens étaient tous tordus.
L'usine était dans un triste état, la centrale où j'avais travaillé était aplatie, les cheminées avaient tenu le choc, seule une était éventrée, mais pas tombée. Sur les 21 fours et gazomètres, un seul n'était pas touché, et dès qu'ils ont pu, ils ont amené une grosse locomotive pour remettre ce four en marche. Tout fut remis en œuvre, pour que l'usine tourne.

Les Italiens qui nous avaient remplacés n'étaient plus là. C'étaient des pauvres déportés qui étaient là, ils nous faisaient pitié. Dans les premiers jours, qu'on était là, l'un de leur camarade avait du mal à marcher. Il était blessé à une jambe. Au bout de quelques jours, ne le voyant plus, on s'inquiéta, et on demanda ce qui à pu se passer. Ne pouvant plus travailler ils l'ont tué, c'est ce qui nous attend.

Ils n'étaient nullement au courant des événements de la guerre, et comme ils n'avaient pas le droit de nous parler. Heureusement, parmi eux se trouvèrent des Français. Alors entre nous, nous avons pu raconter les événements suivants : La défaite de l'armée allemande sur tous les fronts Les Allemands chassés d'Italie avaient capitulé Les alliés avaient débarqué le 6 juin et que la France allait bientôt être libérée Et de grosses défaites en Russie. Prenez courage, au printemps prochain ce sera la libération. Ils nous disaient " merci ". Car ils étaient heureux d'apprendre toutes ces bonnes nouvelles. Nous étions au courant des événements, par certains camarades qui travaillaient chez des particuliers en ville, même à la fin, un parmi nous avait arrivé à se procurer un poste.

Conflit avec un chef d'équipe

Au bout de 10 jours, nous sommes rentrés à notre commando. Pendant ce temps, il avait été installé une perceuse pour suppléer à la grosse, ou je travaillais. Je fus donc attribué à cette nouvelle machine, je perçais toutes les pièces que le patron de la grosse perceuse me donnait.
Dans cet atelier, il y avait plusieurs équipes de prisonniers, qui étaient commandées chacune par un Allemand. Au centre de l'atelier, c’étaient des machines, et sur le bas-côté les établis où les équipes travaillaient.
En face de ma machine, un Allemand avec lequel, je ne m'entendais pas bien. Je croyais même que c'était un mouchard, les autres allemands en avaient peur.
Un jour, que je perçais des pièces, sur la nouvelle machine, ce chef d'équipe vint me dire, je vais t'apporter des pièces à percer. Je lui répondis " apporte tes pièces si tu veux, mais je ne les percerais pas. Car si le travail est mal fait, tu diras que j'ai fait du sabotage. Il ne tient pas compte de ma réponse, et m'apporta ces pièces. Il les posa sur la tablette de ma machine. Alors d'un coup de main, je lui balançais ses pièces parterre. Je finis mon travail, j'allais au cabinet par une porte en face de ma machine. Il y avait des bancs pour s'asseoir, j'allais donc discuter avec des camarades qui étaient comme moi pas courageux.
Quand je suis rentré dans l'atelier, le directeur était là, il me dit qu'est-ce-qui ne vas pas, on refuse de travailler.
Je dis non, je n'ai jamais refusé de faire ce que mon patron me demande. Je l'ai toujours fait consciencieusement.
Mais, tu viens de refuser de faire ce que le rouquin te demande. On l'appelait le rouquin, car ses cheveux étaient rouges.
Je répondis au directeur, il y a dix chefs- d'équipe dans l'atelier, s'il fallait que j'obéisse à tous, je dis non, je ne connais que mon patron avec lequel je travaille, alors il me répondit bon ça va.

Cela se passa un mercredi. Le vendredi au soir, l'homme de confiance du commando vint me voir dans ma chambre, il me dit qu'est-ce-qui t'arrive. Tu as un bon dossier au bureau et il est salé, il faut que tu te tiennes près, on te conduira au tribunal dimanche matin.
Donc, le dimanche matin, un gardien vint me chercher baïonnette au canon, arrivé dans ce fameux tribunal, je fus mis dans un couloir assis sur un banc avec d'autres camarades qui devaient être jugés aussi. Au bout d'un certain temps, tout au bout du couloir une porte s'ouvrit, un soldat allemand rentra, je le regardais, je me disais voilà une figure que j'ai vue autre fois. Lui aussi me reconnut, c'était le gardien qui avait tué le sanglier, et avec qui l'on avait eu la biche. Il me demanda qu'est-ce-que tu fais là toi Sablé, et comment cela se fait que tu es par là. Je lui expliquai que le commando de la grande ferme avait été dissout, que j'avais été 8 mois, dans un petit commando de culture et ensuite 8 mois dans la fameuse usine, et ensuite nous étions arrivés là et je lui racontai mon histoire avec le rouquin. Oh ! Il me dit ne t'inquiète pas on va arranger cela.

Après son départ, les camarades qui se trouvaient avec moi furent très surpris, de me voir parler en ami avec ce soldat allemand, qui parlait très bien le français. Je leur expliquai que ce gars-là avait été coiffeur à Paris, avant la guerre. Comment je l'avais connu, dans mon premier commando de culture. Que j'étais devenu ami et qu'ils n'avaient aucune crainte à avoir, car il aimait les Français et qu'il allait nous défendre.
Quand ce fut mon tour de passer au tribunal, c'était un vieux capitaine qui servait de juge. Il expliqua le fameux dossier, je lui répondis que j'étais cultivateur de mon métier et qu'ils voulaient me faire travailler sur une machine précise et que j'avais du mal à m'adapter. Mais je n'avais jamais refusé le travail que mon patron me commandait de faire. Que c'était avec ce seul chef d'équipe que j'avais eu des ennuis. Je lui dis également de me mettre en culture, que même s'il n'y a pas de chef, je me charge de diriger la ferme consciencieusement. Bon ! Il me répondit, donnez-moi votre n° de matricule, on va s'occuper de vous trouver une place en culture.
Je suis donc rentré au commando, les gars étaient tous à me demander, qu'est-ce que tu as, je leur répondis, j'ai eu de la chance, car ce que l'on craint le plus en usine ce sont les bombardements.
Le lundi matin, il a fallu bien retourner au travail, le fameux rouquin, quand il m'a vu reprendre ma place à la machine :"Sablé, n'est donc pas en prison !". Il aurait désiré que l'on m'expédie dans un commando de redressement. Son camarade lui dit c'est bien mieux que cela, ils vont lui trouver une place en culture, il a de la chance. Le rouquin en colère va tout répéter au directeur.
Deux jours après une note arrive au commando " indispensable à l'usine ". J'étais déçu.

Cette grosse perceuse était conduite par deux allemands, de jour et de nuit à tour de rôle. Il y eu des Allemands de mobilisés, je fus donc attribué à cette machine, je travaillais une semaine de jour et l'autre de nuit. J'aimais bien travailler de nuit, car comme j'étais le seul prisonnier à travailler la nuit dans cet atelier, j'allais manger à la cantine avec eux à minuit et j'avais droit à une soupe.

Les pommes de terres

Dans le mois de septembre 1944, l'après-midi, je sortis de l'usine, je gagnais la campagne, j'allais dans les prairies, ramasser des champignons.
Un jour, que je longeais un champ, je fus interpellé par un Allemand qui était accompagné de femmes et qui ramassait des pommes de terre. Tu t'évades, je lui dis non, je cherche des champignons pour améliorer l'ordinaire.
Il me demanda un tas de choses, où je travaillais, la nourriture, et il dit ensuite, tiens si tu veux emporter des pommes de terre, c'est meilleur que tes champignons. Il me dit ensuite, si tu veux venir demain, cela nous fera plaisir, entendu, je fus tous les après-midis à leur aider, et, j'emportais des pommes de terre, comme il était content de moi, il me dit si tu veux, il faut dire à tes camarades que dimanche après-midi, ils peuvent venir en prendre, où elles sont été bâchées. Il y en avait beaucoup d'enterrées, où elles étaient bâchées avec une machine à tourniquet.
Le dimanche après-midi, il y avait du monde dans le champ. Dans la baraque, nous avions coupé le parquet sous un lit, enlevé le sable, nous avions notre réserve de pommes de terre pour une partie de l'hiver. Pour les faire cuire dans la chambre il y avait un poêle assez long qui chauffait au charbon. Nous étions deux dans ma chambre, à travailler la nuit, mais pas la même semaine. Alors les gars préparaient leurs gamelles de patates, le midi, et c'était un de nous deux qui surveillait la cuisson, le reste de l'année se passa dans le calme, à part des bombardements qui devenaient plus fréquents, surtout dans les grandes usines. Trois, dans cette ville, furent bombardées.

Nous passions les fêtes de Noël et le jour de l'an avec plus de gaieté, car nous savions que c'était les dernières que nous passions dans ce maudit pays.

Le bombardement

Le 15 Janvier 1945, je travaillais de nuit, après minuit, l'alerte n'étant pas encore sonnée, qu'une bombe tomba dans l'entrée de l'atelier. J'arrêtais vite ma machine et par la porte d'en face, je sortis pour me mettre à l'abri entre deux tas de poteaux. J'étais à peine allongé, qu'une bombe tomba à trois mètres.
Par le déplacement d'air, je fus soulevé et par le bruit de l'éclatement, ça m'a craqué dans la tête. Je n'entendais plus rien. J'étais couvert de gravât, quand tout fut rentré dans le calme. Je me levais, je ne m'occupais pas de l'atelier qui brûlait, mais j'ai tout de suite pensé aux copains qui étaient enfermés dans le commando, et comme l'alerte n'avait pas été sonnée, ils n'avaient pas été aux abois. Si une bombe était tombée sur le commando quel carnage cela aurait pu faire.

Une chance, située qu'à 100 m de l'usine, il n'y avait rien eu. Pour mes oreilles, ils ne voulurent pas s'occuper de moi, la misère commença. Nous fûmes quelques jours sans travailler, cela ne nous déplaisait pas.

Les tranchées

A la fin du mois de Janvier 1945, on nous emmenait en campagne faire des tranchées. Pour mon équipe, nous étions derrière une ferme, il fallait faire un emplacement pour mitrailleuses, le gardien ne n'occupait peu de nous, c'était un vieux " prussien ", qui croyait encore à la victoire, qui nous commandait, il aurait désiré nous faire travailler dur et vite. Comme il n'y arrivait pas, il nous menaçait avec sa canne, qu'il nous caresserait les côtes.
On rigolait de lui et cela le faisait mettre en colère. Un beau jour de février, il faisait froid et il tombait de la neige, pour nous réchauffer, nous ramassions du bois à la ferme, pour faire du feu. Et comme le vieux prussien n'était pas arrivé, on se chauffait. Mais tout d'un coup, on l'aperçut.
Roger et moi nous fumes dans le trou, on se mit à enfoncer des piquets, et palisser avec des branches de saule. Car dans ce coin, la terre n'était que du sable. Quand le vieux fut là, il vit que l'on travaillait avec acharnement. " C'est bien, les gars ". Il descendit dans le trou, planta sa canne, et nous continuions à travailler.
Au bout de quelque temps, ils partirent voir une autre équipe, qui travaillait plus loin, mais il oublia sa canne. Et comme, à chaque extrémité de celle-ci il y avait des bouts de fer, on les coupa et on les enfonça dans la vase du ruisseau. Le reste dans le feu, au bout d'un certain temps, il revint et regarda dans le trou.
Il nous demanda " va mènes Schaun " où est ma canne, mais personne n'avait vu sa canne.
Il repartit donc voir l'autre équipe, et il y eu certainement des mots, car il se mit en colère, il prit un piquet et frappa sur un camarade.
Le voilà qu'il revient nous voir et attaqua Roger qui, à ce moment-là, cassait une petite croûte au pied du feu.
On se parlait en allemand, les mots montaient et Roger disait, " ne me touche pas ou bien je t'enfonce mon couteau dans le ventre " je dis à Roger ne fait pas cela, et pour calmer l'affaire, je fus sur le bord du trou, voilà le vieux qui arrive et il me dit, là je ne me trompe pas, tu vas me dire où tu as mis ma canne.
La réponse fut toujours la même " je n'ai pas vu ta canne ".
Il était rouge de colère, il prit un piquet pour me frapper, alors j'attrape le piquet des deux mains, je fis un tourniquet et le vieux tomba les quatre fers en l'air, à ce moment-là, arrive un adjudant qui venait de voir le coup se faire, évidemment il me demanda qu'est-ce qui se passait pour avoir eu cette bagarre.
Le vieux expliqua le coup de sa canne, mais nous ne l’avons pas vu, il lui dit vous n'avez pas le droit de frapper sur les prisonniers.

Travail à la Brasserie

Il prit mon numéro de matricule, le lendemain je fus changé de commando, je fus attribué dans le commando où était Joseph Shuard. Le surlendemain, un gardien m'emmena tout à fait à l'autre bout de la ville, un peu en campagne dans une brasserie, où le patron n'avait pas l'air bien sympathique.
Dans cette brasserie, il y avait comme ouvriers trois vieux allemands et un jeune Belge. Ce dernier travaillait, il avait peur des Allemands. Je lui dis ne travaille pas comme ça, il n'était pas au courant des événements, je lui dis que la guerre va bientôt finir.
Les Russes seront bientôt là. Au printemps, nous rentrerons chez nous, un jour le patron me dit : "tu vas aller laver les bouteilles", et comme il y avait de l'eau dans la laverie, je lui dis mes souliers sont percés, donne-moi des bottes si tu veux que j'aille.
Il me répondit: "non tu n'auras rien".
"Eh ! bien je n'irai pas attraper du mal à la veille de la libération. Car c'est pour bientôt que l'on va être libéré". Il m'envoya charger du fumier, car il y avait des chevaux qui lui servaient pour livrer la bière en ville, je mis toute ma journée pour charger deux tombereaux.
Il me traita de fainéant.
Alors, je lui répondis :"c'est un honneur pour un prisonnier d'être traité de fainéant". Cela le fit mettre en colère.

Au bout d'une dizaine de jours, un matin, il fallait reculer un plateau à quatre roues, le mettre à côté du quai pour charger les fûts de bière. Les deux vieux étaient de leur côté et moi de l'autre. Et au lieu de pousser je retenais. Le patron s'en aperçut, il se mit à m'engueuler. Enfin le plateau fut mis à côté du quai, on le chargea de fûts.
Après je dis au patron, j'ai un rendez-vous chez le dentiste à 11H. Tu n'iras pas. C'est bien ce que l'on va voir. Il me demanda ma feuille, je lui dis : non, tu es capable de me la déchirer. Enfin il insista, je lui donnai donc ma feuille, il vu que ce n'était pas un mensonge, il la lut, et me la redonna en disant, « Tiens, la voilà et que je ne te revois plus ". Je le remercie, c'est ce que je voulais.

Les jours suivants, j'allais avec les copains faire des tranchées, mais l'on en faisait le moins possible. Le gardien savait que ce que l'on faisait ne servait pas à grand-chose.

Je reviens un peu en arrière, à la fin de janvier, les Russes avaient attaqué, ils envahissaient la Prusse orientale et la Pologne.
A la fin de Février 1945, les russes furent arrêtés à 60 Kms de nous sur les bords de l'Oder. Ce fût l'exode des civils allemands et Polonais, qui se sauvèrent devant l'armée Russe. C'était en février, il faisait très froid, il neigeait, ils faisaient halte à Finterwald. Ils étaient logés n'importe où, beaucoup d'enfants sont morts de froid.
Ils savaient que nous avions reçu auparavant des colis de la croix rouge dans lesquels il y avait des boites de lait en poudre. Ils nous en demandèrent pour leurs enfants. Tous les prisonniers firent un geste humain, les femmes ayant appris cela, vinrent nous remercier.
Durant le mois de mars et début d'avril 1945, les alliés venaient très souvent mitrailler la ville, bombarder la gare dans le but de retarder le ravitaillement de l'armée allemande sur le front russe. Dans la première quinzaine d'avril, nous apprenions que les alliés, avaient lancé une grande offensive. L'armée Allemande fut donc mise en déroute, beaucoup de soldats allemands préféraient se rendre. Ils sauvèrent leur vie car ils savaient qu'ils étaient perdus.
Les armées alliées, s'arrêtèrent sur les bords de l'Elbe comme c'était convenu par les accords de Yalta, entre Américains, Anglais et Russes. Mais le Général de Gaule, n'avait pas été invité à y participer.

La libération

Dans la nuit du dimanche 16 avril 1945, nous entendions un grondement qui n'arrêta pas. On disait que ce n'était pas un simple bombardement. C'étaient les Russes qui attaquaient.
Le lundi matin, nous apprenons que nous ne nous étions pas trompés.
Le mardi matin, la moitié du commando fut réquisitionnée pour faire les brancardiers à l'hôpital et ailleurs. L'autre moitié était réservée pour la nuit, moi je fus désigné à l'hôpital pour l'arrivée des grands blessés. Une grande partie de ces blessés passait à la salle d'opération. Je me rappelais un jeune à qui il fallut couper la jambe. C'était le mercredi après-midi.

Le jeudi matin quand je repris mon travail, ce jeune était sur un lit dans un couloir. Car tout était plein. Il était revenu à lui. Sur une table dans un coin, il y avait des revues, il me demanda de lui en donner une. Je lui en apportais et sur la première page il y avait la photo d'Hitler.
Il prit cette revue et la serra dans ses bras, en disant " Oh ! Mon Hitler, "
moi je lui dis " mais tu es fou, Hitler va mener l'Allemagne à un sort qu'elle n'a jamais connu. La guerre est perdue pour vous ".
Il me répondit, " nous avons une armée secrète ",
je lui répondis à mon tour, " les Russes te feront goûter à l'armée secrète, ne t'inquiète pas ".

Le vendredi matin, nous nous levions assez tôt, nous étions à peine habillés, que l'équipe de nuit arrivait et nous disait : " Ce n'est plus la peine, nous n'avons qu'à tout remballer, les Russes ne sont pas loin ".
A 9h, les premiers obus tombèrent sur la ville.
A 9h 1/2, on vit l'adjudant de contrôle arriver. Il va quand même ne pas nous contrôler, à la vieille d'être libérés.
Il rentra au poste, une 1/2 heure après, il sortit avec les deux gardiens sac au dos.

Le retour en France

Nous n'avions donc plus de gardiens, c'était un peu la joie. La bataille faisait rage. Notre commando se situait un peu comme si nous aurions été à la caserne de Mayenne, et que les Russes arrivaient par Aron, et pour mieux voir ce qui se passait en ville, nous étions plusieurs montés sur un mur.
Tout d'un coup on entendit dire en bon français, qu'est-ce que vous faîtes là-haut, descendez ou moi, je vous descends, on regarda, c'était un officier allemand, l'on ne se fit pas dire deux fois, nous sommes vite descendus. Comme quinze jours auparavant, nous avions reçu des tracts lancés par des avions nous répétant qu'au moment de l'attaque de la ville, qu'il fallait se retirer en campagne, étendre un drapeau blanc et un drapeau français.

Nous avions préparé cela donc, nous décidions de quitter le commando. Nous primes notre barda et nos couvertures car on savait tous que nous allions coucher dehors. Nous marchions plusieurs kilomètres, et nous nous installions dans une prairie.
Nous avons étendu nos drapeaux, un avion français nous survolait. La soirée du vendredi et la journée du samedi se passèrent à peu près dans le calme. Le bombardement de la ville continuait, dans la nuit de nombreux incendies.
Le dimanche matin, de bonne heure, les soldats allemands se sauvèrent. C'était un peu la déroute. Un groupe installait une mitrailleuse derrière un buisson, quand les soldats Russes arrivèrent à nous on leur fit comprendre où les Allemands s'étaient installés avec une mitrailleuse. On pensait qu'ils allaient aller en rampant pour surprendre les Allemands, mais non ils partirent debout tout en mitraillant. Ils étaient environ une douzaine, deux soldats Russes tombèrent, les autres avancèrent que de plus belle. Les soldats Allemands partirent pour poursuivre les Russes. Mais nous n'avons pas connu la suite.

Le dimanche midi, nous sommes rentrés au commando. Il a fallu s'organiser pour faire à manger, dans l'après-midi un officier Russe vint nous voir pour nous prévenir qu'il faudrait mieux partir. Car ils craignaient tous, une contre-attaque allemande. Mais elle n'a pas eu lieu. Les pauvres ils étaient cuits.

Le lendemain matin, il fallut trouver à manger. Certains camarades partirent en ville, nous : moi, Joseph Shuard, Alexandre Foucault et d'autres copains, dans une ferme, en campagne. Là, nous avons aperçu deux cochons, dans une autre, deux petits chevaux et un plateau pour les atteler. Un vieux paysan nous demanda de ne pas prendre ces chevaux.
On lui répondit : ne t'inquiète pas, on va te les ramener nous en avons besoin.
Dans la première ferme, nous priment le cochon, et des pommes de terre. Au commando, il y avait un boucher de son métier, alors nous avons pu manger de la bonne viande fraîche. Nous avons ramené nos petits chevaux chez leur propriétaire.
Mais deux jours après, nous avons été obligés de retourner les chercher. Car nous avons reçu l'ordre de partir pour se rendre à Forst en Pologne.

Nous nous sommes rassemblés dans le but de repartir. Nous devions suivre un itinéraire, traverser les petites routes. Le plateau, tiré par les deux chevaux, était chargé de foin et d'avoine. On se servait comme l'on voulait, les Allemands n'osaient rien nous dire. On chargea toutes nos affaires sur le chariot.

Le jeudi matin, nous sommes partis en traversant la ville, nous fûmes arrêtés par un convoi Russe qui passait en face de nous. Les Allemands finissaient de démolir la maison qui avait été touchée par les obus.
Il y avait le directeur de mon atelier qui était là. Il m'aperçut me serra la main. Il me dit tu vas rentrer chez toi Joseph. Je te souhaite un bon et prompt retour, pour moi je ne sais ce que la vie me réserve.

Nous voilà donc repartis, nous avions fait pas mal de kilomètres, nous étions en pleine forêt, quand tout d'un coup, nous entendîmes la mitrailleuse. Un camion Russe venait d'être attaqué par des Allemands qui étaient restés camouflés dans la forêt.
Un cavalier Russe, nous fit signe de faire demi -tour, nous nous sommes rendus vers le commando à l'est de la ville. Les copains étaient partis. Nous nous sommes donc installés, dans une baraque qui longeait une petite route, où un convoi Russe fut mitraillé par plusieurs avions Allemands. Plusieurs balles sont rentrées dans la baraque, nous étions tous couchés, nous avons eu de la chance, personne n’a été touché. Comme disaient les Allemands, il y a un bon Dieu pour les Français, car avec toutes les mitrailleuses de la ville, les bombardements des usines, l'attaque des Russes, sur peut-être près d'un mille que nous étions dans cette ville, il y a eu un mort de notre commando. Mais il avait commis une imprudence.

Le vendredi matin, nous sommes repartis par la même route, nous avions peur que les Allemands soient encore là. Car ils auraient pu nous tirer dessus. Cela s'est produit déjà à certains prisonniers qui ont été tués sur la route du retour.

Nous avons traversé la forêt sans encombre. Tout le long de la route, dans les fossés, il y avait des cadavres de soldats Allemands, mais pas de soldat Russe. Car à mon avis, ils étaient enlevés aussitôt.

Dans un carrefour, une sentinelle Allemande avait dû être tuée et les chars avaient dû passer et repasser dessus, il était tout aplati.

Nous nous sommes arrêtés dans un petit pays, où il avait dû y avoir de la bagarre, il y avait des cadavres partout, un char allemand avait dû brûler, ses trois occupants étaient carbonisés.

Dans une maison, qui servait d'infirmerie, où les blessés étaient déposés. Il y avait 12 pauvres diables que les Russes avaient achevés d'une balle dans le crâne. Nous avons quand même couché dans ce pays.

Le lendemain matin au point du jour, nous sommes partis de peur que les Russes arrivent, et qu'ils nous fassent enterrer tous ses morts.
Dans l'après-midi, nous nous sommes arrêtés dans un plus grand pays, mais complètement vide.
On se logeait par groupe, où l'on pouvait. Mon groupe fut installé dans une ferme à l'entrée du pays.
Il y avait une belle maison, mais les Russes avaient tout bouleversé. Nous avons remis tout en ordre, nous avons préparé la cuisine.
Mais que fut notre surprise, quand deux camions de l'armée Russe rentrèrent dans la cour. Il y avait un homme et une femme par camion. Cela nous fîmes moitié plaisir. Nous qui avions tout rangé à la maison, préparé les deux chambres, bref, nous ne pouvions rien dire.
Un officier Russe arriva. Il parla assez bien l'allemand.
Il ne faisait pas partie des troupes de choc qui étaient des Mongols à moitié civilisés.
Il était Ukaimien, il nous demanda ensuite qu'est-ce que nous avions à manger, pour douze. On avait un biquet et un lapin.
Il nous dit alors, "dans la prairie pas très loin, il y a une vache", "allez la chercher", chose qui fut faite.
La vache fut attachée à un poteau au bas de la cour de la ferme. Un soldat Russe avec son fusil mitrailleur lui mit plusieurs balles dans le crâne. Nous avions été cherchés notre camarade boucher, nous nous sommes entraidés à dépecer la vache. Les Russes prirent le cou, le foie, et quelques bons morceaux, et nous avons partagé les bons restes entre nous. Ensuite, nous avons nettoyé l'arrière-cuisine, pour préparer à manger. Les Russes avaient pris notre place, nous avons dû dormir dans la grange.

Le dimanche matin, les Russes sont partis assez tôt, dans la matinée, je me suis promené dans la cour, et j'aperçus une femme qui regardait et se retirait, elle avait peur d'entrer, je m'approchais d'elle, et lui dis. Madame n'ayez pas peur, nous sommes des Français.
Elle se dirigea vers nous et se mit à pleurer à chaudes larmes. D'autres camarades arrivèrent et elle nous raconta toute sa triste aventure. Elle avait été obligée de fuir devant l'armée Russe.
Son mari était mobilisé et elle n'avait plus de nouvelles depuis plusieurs mois. Elle est partie un matin avec ses trois jeunes enfants, 9 ans, 7 ans, et 5 ans. Sa mère l'accompagnait, dans un chariot, elle avait emporté tout ce qui était nécessaire pour se nourrir et dormir. Ils étaient tous dans un convoi de personnes comme elle qui fuyaient dans un petit pays.
Il leur fallut s'arrêter, les soldats Russes arrivèrent. C'étaient des Mongols, elle fut séparée de ses enfants et de sa mère. Elle fut violée et pendant plusieurs jours ce calvaire avait duré. Elle avait réussi à s'évader et revenir chez elle à travers champ. Elle était exténuée de fatigue on lui donna à manger, une chambre pour se reposer tout l'après-midi.
Le soir, elle fit sa toilette, changea de vêtements, mais la pauvre elle pleurait toujours. Elle parlait de ses pauvres enfants, elle se demandait si elle les reverrait un jour.
On essaya de lui remonter le moral en lui disant de s'adresser à la croix rouge. Ces enfants avaient chacun une plaque avec leur nom et leur adresse, autour du cou, ce qui était une grande sécurité. Nous l'avons consolé de notre mieux.
Le Lundi matin, quand nous sommes partis, elle nous dit " merci " mais elle pleura toujours et avait peur.

Nous avons repris la route par petites étapes, nous sommes arrivés le jeudi soir à Forst en Pologne. C'était une petite ville déserte, car une grande partie de ses habitants avait fui en Février. Ils n'étaient encore pas rentrés, il y avait quelques maisons détruites. Nous étions plusieurs milliers de prisonniers Français.

Le 9 mai 1945, nous apprenons que l'Allemagne avait capitulé et qu'Hitler s'était donné la mort. Nous étions rassemblés dans cette ville, dans le but d'être rapatrié par Odessa, encore un long voyage à faire. Il fallut se loger.
Dans notre groupe, nous étions une douzaine à se suivre, toujours les mêmes. Nous nous sommes logés dans une maison.
Le lendemain, je fus avec Shuard et Foucault. Dans la foule, nous avons trouvé Roger Daumenc, il était avec son commando, il avait pris la même direction que nous.
Nous fûmes à peu près trois semaines dans cette ville, le temps était long. Certains avaient trouvé des vélos, et étaient partis en direction des alliés, mais c'était risqué.
Pendant que nous étions dans cette ville, les Russes ne nous donnaient rien, il fallut donc se débrouiller pour manger. Nous avions récupéré quelques cuisines roulantes allemandes, avec nos chevaux et nos plateaux.
Nous sommes partis dans la campagne, pour ramener des pommes de terre, même des vaches, de la farine. Le pain fut fait dans les boulangeries de la ville.
Nous mangeâmes les 2 vaches, ensuite nous mangions nos chevaux. Plusieurs commandos avaient fait comme nous, prirent chevaux et plateaux pour faire la route. Nous avons aussi ramassé tous les légumes. Il fallait bien manger.

Le 18 mai 1945, 600 camarades ont pris le train en direction d'Odessa.

Le dimanche 21, certains camarades sportifs ont organisé un match de boxe, sur le terrain de sports de la ville. Certains officiers Russes y ont assisté. 0
Pendant la petite fête, un planton Russe vint apporter un pli, qu'il donna à un officier, et lui demanda s'il y avait parmi nous, un camarade qui connaissait le Russe. Il s'en présenta un, qui nous lut en Français ce pli. Il fallait que tous les prisonniers se réunissent à 9 h, sur cette place. Nous devions être transportés vers Leipzig, que les Américains devaient nous rapatrier dans les plus brefs délais. Il y avait de la joie.

Le lundi 21 mai 1945 à 9h, tout le monde était sur la grande place, il y avait du monde, mais les camions n'étaient pas là. 11h, midi, toujours pas de camions, les Russes sont aussi menteurs que les Allemands. Ils promettent une chose et ne le font pas. Nous commencions à nous disperser.
Enfin à 3h de l'après-midi, les camions arrivèrent. C'étaient des camions américains, conduits par des soldats Russes. Il a fallu du temps pour organiser le convoi. Nous sommes donc partis à 7h du soir, nous avons roulé une partie de la nuit, pour arrêter dans un pays où chacun devait se débrouiller pour se loger et dormir.

Le lendemain matin, nous sommes repartis et ils nous ont déposés dans un ancien stalag le IVB. Il y avait des baraques, mais elles étaient pleines de poux, de puces et de punaises. Nous avons dû dormir dehors. Car nous avions 20 Kms à faire à pied pour nous rendre à Riesa. Nous avons trouvé une charrette pour mettre notre barda.

Le jeudi 24 mai 1945, nous partons de bonne heure, la route était mauvaise, et avant d'arriver à Riesa, il y avait une rivière mais pas de pont. Il a fallu descendre la rivière qui était profonde et pour remonter de l'autre côté, c'était très à pic. Pour sortir il a fallu abandonner notre charrette dans la rivière.

Enfin nous arrivons à Riesa, là, nous avons été vaccinés, et nous nous sommes couchés où l'on a pu. Nous étions habitués à la misère. Le vendredi des camions américains viennent nous chercher pour nous emmener dans un terrain d'aviation, où nous avons touché à manger et dormi sous les hangars.
Le dimanche matin, nous sommes emmenés à la gare de Leipzig, Nous avons monté dans des wagons à bestiaux. Paris à 7 1/2 h, le train ne roulait pas très vite, et à plusieurs nous avons été mis sur voie de garage pour que les trains de ravitaillement passent. Car la ligne n'avait qu'une voie, qui venait d'être refaite. Les Allemands dans leur retraite avaient tout fait sauter.
Un soir nous sommes passés sur le Rhin, sur une ligne peu surélevée qui reposait sur des bateaux. Le train roulait doucement car la ligne bougeait, nous n'étions pas rassurés.

Nous sommes arrivés le lundi dans la matinée à Nancy. Notre train fut mis sur voie de garage, nous sommes tous descendus. Il y avait un centre d'accueil, où nous avons pris un bon petit déjeuner, chocolat ou café avec du bon pain français. Nous avons fait une toilette car nous en avions besoin. Ensuite nous avons été groupés par région.
Et dans l'après-midi, nous avons repris le train et là ce fut plus confortable. Nous étions installés dans des wagons de voyageurs, pour la région de l'Ouest. Nous étions nombreux, nous avons changé de train à la gare de Montparnasse.

Je suis arrivé dans la matinée du mardi 29 mai à Evron. Alexandre Foucault était descendu à la Ferté-Bernard, Joseph Shuard devait, lui, descendre à Laval.
Ce fut le Docteur Janvier accompagné de Maria, j'étais très heureux de me trouver en famille. Marie-Josèphe avait grandi.
J'étais très fatigué, après avoir mené cette vie de nomade pendant tout ce temps. Mais que c'était " bon " de reprendre la vie de famille et la liberté.

NB : Je me suis décidé un peu tard, pour faire le récit de ma captivité. En bref, excusez-moi pour les phrases mal faites et les mots manquants, heureusement que j'avais noté sur un carnet, les dates qui m'ont été très utiles pour me rafraîchir la mémoire, qui hélas me fait grand défaut à mon âge.
Le 8 juin 1996, j'aurai mes 90 ans.
                                 le 24 août 1996 Joseph SABLE, à Bais